Tout premier succès «international» de la carrière de Gretry, Zémire et Azor (1771) reprend la trame du conte La Belle et la bête pour la transposer en un Orient fantasmé, proche des Mille et une nuits : on retrouve la musique pétillante de Gretry, toujours très investi dans l’équilibre recherché entre clarté du chant (en grande partie déclamatoire) comme de l’expression théâtrale, mais aussi par la séduction mélodique à l’italienne et les détails piquants de l’orchestration. C’est là une bien belle idée que de recourir aux couleurs des instruments d’époque de l’Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie, ici dirigé par un Louis Langrée attentif à l’allant et au rebond rythmique. Directeur de l’Opéra-Comique depuis deux ans, le chef français gagnerait à une meilleure articulation avec le plateau, mais l’essentiel est là, avec une énergie qui ne faiblit pas tout du long.
L’ouvrage est malheureusement desservi par un livret à l’action réduite et aux dialogues convenus, qui pâtit aussi de références aujourd’hui largement méconnues : ainsi du prénom Azor, devenu synonyme d’amant fidèle depuis le succès de la pièce de Marivaux, La Dispute (1744), ou encore de l’hymne à la Fauvette (que chante Zémire au III pour plaire à la bête), associée au mythe d’Orphée et Eurydice par de nombreuses fééries du Moyen-Age. Que dire, aussi, du message subliminal rétrograde envoyé aux jeunes filles, en écho aux mariages forcés alors en vogue au XVIIIe siècle : la laideur du mari doit pouvoir être minorée par ses qualités morales, si tant est qu’on veuille bien voir au-delà des apparences. En ce dimanche après-midi dédié au dispositif «Relax» (possibilité pour les spectateurs de s’exprimer ou d’applaudir librement pendant le spectacle, notamment pour les enfants comme les personnes en situation de handicap), les jeunes pousses ne sont peut-être pas encore allées aussi loin dans la réflexion, préférant se faire peur avec les attendus bien connus du conte popularisé par Walt Disney.
Inhabituellement sage, la mise en scène de Michel Fau épouse la sobriété d’une scénographie unique pendant toute la représentation, où les protagonistes évoluent dans les jardins du palais d’Azor, comme perdus dans un labyrinthe d’illusions. Les lignes géométriques épurées évoquent Chirico, sans que l’on puisse réellement en dégager une portée symbolique, au-delà du seul plaisir visuel d’une scène admirablement renouvelée par la variété des éclairages expressionnistes. Si ce climat d’étrangeté est agrémenté d’éléments de décors fugitivement introduits (la table de victuailles au I ou le trône de la bête en fin d’ouvrage), il peine à soutenir l’action sur la durée, notamment dans les passages plus comiques avec Ali. Michel Fau sait toutefois apporter à son personnage de la Fée une fantaisie et un sens de la pantomime à même d’animer les scènes de ballet, où l’apport de deux danseurs grimés en sorte de cerbère fait mouche.
Le plateau vocal se montre de belle tenue, sans parvenir à provoquer l’enthousiasme, du fait d’une interprétation théâtrale linéaire, souvent trainante. Ainsi de Philippe Talbot (Azor), qui peine à donner de la noirceur à son rôle, réduit ici au seul amoureux transi et pleurnichard. La ligne vocale est toujours aussi exemplaire, entre clarté de l’articulation et souplesse sur toute la tessiture, à l’instar de sa partenaire lumineuse, Julie Roset (Zémire). Malgré des graves encore trop timides, la soprano séduit par son émission veloutée et son raffinement expressif. Parfois un rien trop sonore, Marc Mauillon (Sander) donne beaucoup de noblesse à son rôle, à force d’engagement et de style, tandis que Sahy Ratia (Ali) déçoit quelque peu, faute d’un sens comique plus affirmé. Il aurait peut-être fallu une signature vocale plus colorée et caractérisée, là où la voix blanche de Ratia, idéale pour les rôles de jeunes premiers, n’atteint pas l’effet voulu, nécessaire au contraste dramatique avec les scènes plus horrifiques ou d’amour.
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