Parmi les événements de l’actualité discographique de cette année, Hulda
(1885) se taille une place aussi prépondérante qu’inattendue, tant son
auteur n’est pas associé à l’art lyrique : pour autant, chaque nouvelle
écoute renforce la conviction qu’on tient là l’une des grandes
redécouvertes de ces dernières années. Déjà engagée avec la première
intégrale enregistrée par Fabrice Bollon (Naxos, 2021), la résurrection de Hulda s’est poursuivie l'an passé avec les concerts liégeois et parisien organisés par le Palazzetto Bru Zane, en prélude au présent enregistrement.
Achevée au soir de la vie de César Franck, Hulda fut refusée
aussi bien à Paris qu’à Bruxelles, sans doute en raison de son livret
peu vendeur, adapté d’une pièce de jeunesse du norvégien Bjørnstjerne
Bjørnson, prix Nobel de littérature en 1903. Très statique, l’action a
pour principal ressort la vengeance d’Hulda sur le clan Aslak, qui a
exterminé toute sa famille : malgré cet écueil, Franck surprend par sa
capacité à varier les couleurs, en des motifs courts et mouvants qui
accompagnent un art vocal toujours éloquent. L’imbrication naturelle de
l’accompagnement orchestral et du chant est une merveille tout du long,
en un sens de l’expressivité dramatique qui s’appuie davantage sur la
modulation des contrastes que sur la mélodie ou les leitmotivs. Si le
sujet nordique ou la « conversation en musique » rapproche parfois
l’ouvrage de Wagner, le traitement musical appartient davantage à
l’opéra français, de Halévy à Gounod, tout en alliant un sens de
l’emphase dans les chœurs et ensembles proches du dernier Verdi.
Avant de s’éclairer peu à peu, l’ouvrage débute par les clairs‑obscurs
fantomatiques et dépressifs des ambiances marines du rivage où vit
Hulda : déjà tout accaparée par son désir de vengeance, l’héroïne voit
s’ouvrir des sentiments amoureux contradictoires qui font tout le prix
du développement de ce huis clos étouffant. Celui‑ci se ponctue dans
l’éclat des chants de victoire du clan Aslak, ivre de sa puissance au
I : c’est là le prélude à sa chute ininterrompue, sous l’œil attentif
d’Hulda.
Jennifer Holloway |
Que dire, aussi, de la direction toute d’équilibre et de raffinement de Gergely Madaras : son geste aérien est à mettre en comparaison avec la version plus franche et directe (sans doute aidée par une prise de son qui favorise l’orchestre) de Fabrice Bollon, autour d’un plateau vocal de très bonne tenue, notamment une superlative Meagan Miller. Deux versions complémentaires pour un même ouvrage, qui l’éclairent d’un jour nouveau : celui d’un chef‑d’œuvre dont on se délecte encore et encore, quelle que soit la version choisie.
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