dimanche 29 septembre 2024

Concert de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam - Lahav Shani - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 28/09/2024

Lahav Shani

Partenaire régulier de la scène du Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam fait son retour à Paris sous la baguette de son directeur musical Lahav Shani (né en 1989), qui a pris la succession de Yannick Nézet Séguin voilà déjà six ans. Le chef israélien a depuis multiplié les engagements, à l’instar de son aîné québécois, en prenant les rênes des Philharmoniques d’Israël et de Munich. Mais si Shani est incontestablement un des chefs en vogue du moment, le public parisien a surtout fait le déplacement pour entendre l’éternelle prodige du piano qu’est Martha Argerich (née en 1941) : on se surprend toujours à redécouvrir son âge vénérable, tant le temps ne semble avoir aucune prise sur son art.

C’est peu dire que l’Argentine n’a rien perdu de son piano véloce et fougueux, qui concentre immédiatement l’attention dès les premières notes du Troisième Concerto (1945) de Bartók. Si cet ultime opus n’est pas réputé pour être le plus virtuose parmi les autres ouvrages concertants du compositeur hongrois, il trouve ici des phrasés à la lisibilité lumineuse, d’une franche autorité, qui contrastent avec la battue plus discrète de Shani. Le chef israélien n’est pas un sanguin, tant s’en faut, et préfère une battue fluide et naturelle, qui laisse la primauté au soliste. Il y a bien quelques détails fouillés ici et là, en ralentissant ostensiblement les tempi (une constante de la soirée), mais sans volonté d’explorer les modernités en clair-obscur de cette musique audacieuse en son temps.

Martha Argerich

On retrouve précisément un même état d’esprit dans le premier bis interprété par Martha Argerich, qui expédie en une agilité vertigineuse les « Traumes Wirren » des Fantasiestücke de Schumann. Aucun mystère ni sentimentalisme ne vient non plus éclairer « Le Jardin féerique » de Ma mère l’Oye de Ravel, interprété à quatre mains avec la vélocité complice de Lahav Shani, un ancien élève de Daniel Baremboïm.

Préalablement à ce moment de bravoure, la création française de l’Ouverture pour orchestre Con Spirito (2024) de Joey Roukens (né en 1982) avait été donnée pour chauffer l’orchestre, en une maestria festive faisant honneur à son modèle avoué Leonard Bernstein. Le style coloré et chaloupé joue la carte d’une rythmique souvent effrénée, ponctuée par les nombreuses percussions, mais manque d’originalité pour convaincre sur la durée. On découvre pour l’occasion le nouveau dispositif acoustique mis en place par le Théâtre des Champs-Elysées depuis la rentrée, qui offre incontestablement un confort sonore plus détaillé pour chaque groupe d’instruments. Cette réussite devrait encore s’améliorer au fil de la saison, après la mise en œuvre des ajustements encore nécessaires.

Après l’entracte, la Neuvième Symphonie (1893) de Dvorák résonne en des tempi assez sages, étoffés d’une mise en place redoutable de précision, notamment dans les transitions. On reste cependant sur sa faim face à cette interprétation d’un classicisme sans brillant, qui manque d’individualité dans les timbres, souvent trop neutres, du Philharmonique de Rotterdam. Seule exception, le beau solo du cor anglais dans le Largo, qui trouve une sorte d’évidence par son chant suave, et ce malgré quelques bruits extérieurs parasites (une porte qui claque bruyamment ou des toux irrépressibles dans le public). Le Molto vivace trouve ensuite Shani à son meilleur, en tournant ce mouvement vers l’allégresse primesautière d’un Brahms, en une rondeur d’interprétation qui lisse les angles pour mieux faire valoir la mélodie principale. On retrouve ce parti-pris dans le dernier mouvement, plus franc et direct aux cordes, malgré quelques ralentissements dans les passages lyriques, souvent explorés dans les piani. Une interprétation volontiers classique, à la mise en place quasi parfaite, mais trop prévisible. Dommage.

vendredi 27 septembre 2024

Concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France - Dima Slobodeniouk - Maison de la Radio - 26/09/2024

Mikhaïl Pletnev

Difficile d’imaginer figure plus fascinante à regarder que celle de Mikhaïl Pletnev (né en 1957), qui semble savoir tout faire au piano, en une facilité déconcertante, presque nonchalante. C’est l’impression qui ressort immédiatement au sortir du concert consacré aux deux premiers concertos de Rachmaninov, dans le superbe auditorium de Radio France, rempli à craquer pour l’événement. Le choix d’honorer la musique concertante de Rachmaninov en deux soirées (auxquelles manquent toutefois la Rhapsodie sur un thème de Paganini) n’est pas tout à fait le fruit du hasard, puisque Pletnev a souhaité mettre en avant un compositeur ayant fui la Russie, tout comme lui. Rappelons en effet qu’il a été démis en 2022 de ses fonctions à la tête de l’Orchestre national de Russie, qu’il dirigeait depuis sa fondation en 1990. Cette décision a immédiatement motivé la création en 2023 d’un nouvel ensemble regroupant de nombreux musiciens russes en dissidence, appelé l’Orchestre international Rachmaninov.

Avant de pouvoir découvrir cet orchestre en France, on se réjouit de retrouver au piano l’ancien premier prix du concours Tchaïkovski en 1978, lui qui a longtemps privilégié la direction, tout comme la composition. Il est accompagné par un Philharmonique de Radio France manifestement bien préparé pour l’occasion : à plusieurs reprises, Pletnev se tourne vers les vents pour hocher de la tête, comme ravi de leur prestation. Les réflexes du chef sont toujours bien là ! L’orchestre est dirigé par Dima Slobodeniouk (né en 1975), qui relève le pari de suivre les phrasés toujours inventifs et surprenants de Pletnev. On est parfois surpris par quelques traits massifs dans les tutti, qui donnent un élan rapsodique à l’ensemble, en couvrant légèrement le piano. En dehors de ces ponctuations rageuses, le chef finlandais d’origine russe privilégie l’allégement des textures, en une lecture analytique proche de celle du soliste.

Dima Slobodeniouk

On se réjouit de pouvoir entendre le Premier Concerto (1891/1917), plus rare au concert que son successeur immédiat, composé en 1901. Ce premier opus trouve une hauteur de vue inattendue avec Pletnev qui explore chaque recoin de la partition, en un souci du détail millimétré, aux notes bien déliées. Aucun maniérisme à l’horizon, tant le Russe s’attache à nuancer chacune de ses interventions, délicieusement imprévisibles. C’est bien cette incertitude qui fait tout le prix de cette interprétation, à laquelle on s’abandonne dans un confort ouaté et privé de tout pathos.

Après l’entracte, le Deuxième Concerto (1901) surprend davantage, tant son aspect dramatique est lissé par le ralentissement des tempi : on se laisse ensorceler par le magicien du piano qu’est Pletnev, qui ose une lecture séquentielle et toujours très personnelle. Il y a comme une sorte d’évidence dans cette lecture sans esbroufe, tandis que l’accompagnement se fait plus sec en comparaison. A l’issue de sa prestation et des premiers applaudissements, le pianiste se tourne vers le premier violon Hélène Collerette pour recueillir son assentiment pour un unique bis, le Deuxième des trois Nocturnes opus 9 de Chopin, avant de revenir sur sa promesse pour gratifier l’assistance d’un ultime bijou de raffinement rythmique, la Sixième des quinze Etudes de virtuosité de Moritz Moszkowski (1854‑1925). On peut bien entendu choisir d’entendre ou réentendre ce concert sur France Musique ou patienter jusqu’au 7 novembre prochain pour applaudir à la Halle aux grains les mêmes interprètes, entourés cette fois de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.

jeudi 26 septembre 2024

« Les Brigands » de Jacques Offenbach - Barrie Kosky - Opéra Garnier à Paris - 24/09/2024

Tout dernier chef‑d’œuvre de la période la plus heureuse d’Offenbach, celle précédant la guerre contre la Prusse, Les Brigands (1869) ont connu une reconnaissance tardive, suite au succès de la production de Jérôme Deschamps promue par l’Opéra de Paris en 1993, puis reprise à l’Opéra Comique en 2011. Offenbach n’étant pas davantage prophète dans son pays d’origine, ce même ouvrage a dû attendre le mois de janvier de cette année pour se voir honoré d’une première à Francfort, dans la langue de Goethe.

C’est d’autant plus surprenant que l’inspiration musicale du « Petit Mozart des Champs‑Elysées » (comme il fut surnommé en son temps) pétille d’une énergie débridée dès l’Ouverture, pour ne plus lâcher ensuite les auditeurs, dont certains continuent de siffloter (littéralement) les mélodies entêtantes pendant l’entracte. Comme souvent, Offenbach se régale d’un livret désopilant, conçu par ses habituels partenaires Henri Meilhac et Ludovic Halévy pour cette production, les dialogues ont été modernisés de fond en comble par le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz, sans éviter quelques facilités, tout en correspondant parfaitement à la volonté du metteur en scène Barrie Kosky de « faire entrer Les Brigands dans le XXIe siècle ».

Et c’est peu dire que ça décoiffe dès l’Ouverture en une ambiance visuelle déjantée, entre glam queer et joyeux bazar, évoquant la folie ravageuse des premiers films underground de John Waters et son égérie obèse, la travestie Divine. C’est sous les traits de cette dernière qu’apparaît le chef des brigands Falsacappa, au maquillage aussi outrancier que sa robe rouge vif moulante, tout en étant entouré d’une bande de bras cassés, aux physiques aussi dissonants que leurs accoutrements hauts en couleur. On pense immédiatement à un autre projet concomitant (nommé pour représenter la France aux Oscars 2025), l’excellent mais improbable film Emilia Pérez de Jacques Audiard, qui met en avant le parcours d’un baron de la drogue amené à changer de sexe pour aborder une nouvelle vie, le tout sous forme de comédie musicale.


Dans l’un et l’autre cas, le propos consiste à faire voler en éclat notre propension à se laisser facilement duper par les apparences, en lien avec le message déjà promu par Offenbach et ses librettistes en 1869 : les accoutrements varient, mais les voleurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit, en pouvant se cacher sous les habits éclatants des plus sérieux représentants de nos élites, dont le personnel politique. La tirade corrosive de l’humoriste Sandrine Sarroche (plus à l’aise au niveau théâtral que vocal) va dans cet esprit en étrillant le bilan budgétaire de nos gouvernants sur les quarante dernières années, et plus particulièrement la période récente, jusqu’à renommer le Palais Garnier au nom du nouveau Premier ministre Michel Barnier...

La mise en scène de Barrie Kosky se régale de cette satire en insufflant une énergie de tous les instants, aux accents volontairement grotesques, qui tourne parfois en rond à force de répétition, mais reste toujours dans l’esprit de l’ouvrage. L’omniprésence et la performance physique des danseurs impressionnent tout du long, en faisant écho au mauvais goût revendiqué des minorités face au miroir de l’élégance ostentatoire et ridicule des Espagnols ou de l’austérité fallacieuse des Italiens.


On ne pouvait sans doute trouver meilleur interprète que Marcel Beekman, dont la ressemblance physique est frappante avec Divine, tout en faisant l’étalage d’une maîtrise quasi parfaite du français dans les dialogues, en un sens de l’articulation millimétré. Son abattage comique comme son aplomb scénique sont pour beaucoup dans la crédibilité apportée à son personnage, qui parvient à trouver le ton juste, jusque dans les ressorts les plus extravagants de la farce. Le ténor néerlandais est parfaitement épaulé par un désopilant Rodolphe Briand (Pietro), qui rivalise de balourdise en amant SM décérébré, de même qu’une Antoinette Dennefeld (Fragoletto) dont on pourrait croire qu’elle est née pour ce répertoire, tant son aisance est patente. On ne peut malheureusement en dire autant de Marie Perbost (Fiorella), qui déçoit par son manque d’agilité dans les passages rapides, comme sa projection souvent inaudible dans le medium. Fort heureusement, l’Opéra de Paris réunit une distribution de grande classe pour les seconds rôles, des chevronnés et superlatifs Philippe Talbot (le comte de Gloria‑Cassis), Mathias Vidal (le duc de Mantoue) ou Laurent Naouri (le chef des carabiniers) à l’impressionnante jeunesse vocale d’Adriana Bignagni Lesca en princesse de Grenade, aux interventions plus viriles qu’attendu.

Si le Chœur de l’Opéra de Paris assure bien sa partie, on est surtout séduit par la direction vive et pleine d’esprit de Stefano Montanari, qui enchante par ses phrasés souples et naturels, sans jamais couvrir le plateau. De quoi inciter à découvrir cette nouvelle production à la mise en scène certes peu consensuelle, mais dont les audaces accompagnent la charge satirique de l’ouvrage sans aucun temps mort.

dimanche 22 septembre 2024

« Le Domino noir » de D.F.E. Auber - Opéra Comique - 20/09/2024

Il faut se précipiter pour voir ou revoir la reprise de ce spectacle très réussi, produit conjointement en 2018 par l’Opéra royal de Wallonie à Liège et l'Opéra Comique, avant de rejoindre opportunément Lausanne l’an passé. On avait oublié à quel point la musique du Domino noir (1837) coule de source, en une ivresse symphonique faisant la part belle à la finesse des rythmes et des mélodies renouvelées, entremêlant avec brio voix et orchestre, à la manière de ses deux modèles Boieldieu et Rossini. Si Auber n’a jamais cherché à faire figure de novateur, il est parvenu à une sorte d’évidence dans le genre de l’opéra‑comique (constitué, rappelons‑le, d’une alternance de parlé et de chanté), qui explique pourquoi Le Domino noir reste aujourd’hui encore le neuvième titre le plus joué du répertoire du Théâtre national de l’Opéra Comique, avec 1 201 représentations.

Si les quarante-huit ouvrages lyriques d’Auber sont en grande partie négligés de nos jours (notamment de la part du Palazzetto Bru Zane, qui n’a pas cru bon devoir consacrer un seul volume à l’un des plus célèbres compositeurs français de son temps), on se félicite que des maisons audacieuses fassent vivre cette musique de tout son éclat, de Manon à Turin (à la fin du mois) à La Muette de Portici à Darmstadt (à partir de fin avril 2025). Pour autant, il est évidemment préférable de réunir une distribution francophone pour ce type de répertoire, dont l’articulation entre dialogues et parties chantées nécessite une mécanique de haute précision : un défi que l’Opéra Comique parvient à relever haut la main en reprenant la quasi‑totalité de la distribution de 2018.

Ainsi des deux rôles principaux, les tourtereaux Anne-Catherine Gillet (Angèle) et Cyrille Dubois (Horace), qui rivalisent de charme pour interpréter avec crédibilité cette histoire en grande partie inspirée du conte de Cendrillon. En dehors de quelques accélérations qui mettent parfois à mal la précision de sa diction, Anne‑Catherine Gillet (Angèle) montre une fois encore combien sa voix est idéale pour ce répertoire, entre beauté du timbre et articulation souple et vivace. A ses côtés, Cyrille Dubois s’impose avec les mêmes qualités, malgré un aigu moins aérien qu’à l’habitude. Si Victoire Bunel (Brigitte) et Léo Vermot-Desroches (Juliano) assurent solidement leur partie, la plus belle signature vocale de la soirée revient à Jean‑Fernand Setti, truculent et volumineux Gil Perez. Marie Lenormand (Jacinthe) compense ses déficiences vocales par un brio comique toujours irrésistible, mais reste un cran en dessous en comparaison de la prestation de Laurent Montel en impayable britannique à l’accent haut en couleur.


La plus grande satisfaction de la soirée revient surtout à la fosse, tenue par un Louis Langrée idéal dans ce répertoire à force d’allégement de la pâte sonore : sa direction chambriste est un régal tout du long, mêlant habilement finesse et brio pour conduire tout son petit monde, en faisant ressortir toute l’ironie piquante des vents de l’Orchestre de chambre de Paris, sans parler du chœur Les Eléments, très bien préparé pour l’événement. C’est là une nouvelle réussite pour ce chef français à la carrière d’envergure internationale, qui a reçu lors d’une cérémonie émouvante au foyer à l’issue de la représentation, le grade de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

On doit précisément à Louis Langrée l’initiative de la reprise du Domino noir, un spectacle conçu sous le mandat de son prédécesseur à la direction de l’Opéra Comique, Olivier Mantei : c’était là la toute première mise en scène lyrique du duo composé des comédiens Christian Hecq et Valérie Lesort, après leur succès plusieurs fois repris, Vingt Mille Lieues sous les mers (2015), d’après Jules Verne. Après Ercole amante de Cavalli en 2019, on retrouve le style fantaisiste et bon enfant des deux trublions, qui mêlent épure scénographique et costumes aussi élégants que farfelus, tout en enrichissant l’action (au livret parfois trop statique) de gags visuels savoureux, dont on laissera évidemment la surprise au spectateur. Une réussite à savourer d’urgence !

samedi 14 septembre 2024

Concert de l'Orchestre national de France - Cristian Măcelaru - Maison de la Radio - 12/09/2024

Julia Fischer

Pour son concert d’ouverture de saison, l’Orchestre national de France a la satisfaction de faire salle comble, avant d’entamer une tournée avec la même affiche à Dijon, puis Besançon. On ne peut que s’en réjouir, tant le programme proposé par les forces de Cristian Măcelaru bouscule les lignes, en mettant en avant la figure d’Elsa Barraine (1910‑1999) autour de l’une de ses œuvres les plus abouties, la Seconde Symphonie. Créé en 1938 par Désiré-Emile Ingelbrecht, l’ouvrage a ensuite été soutenu par des chefs tout aussi renommés, de Manuel Rosenthal à Jean Martinon, dont on peut encore trouver en ligne les gravures, en un son malheureusement précaire. De quoi patienter avant le disque annoncé l’an prochain par le National et Măcelaru, afin de rendre hommage à cette compositrice en grande partie oubliée de nos jours.

Avec la Seconde Symphonie, on découvre un bijou d’ivresse rythmique qui surprend constamment par sa capacité à mobiliser toutes les sonorités à disposition, en un sens des transitions très fluide. Si les cordes sinueuses ou quelques détails d’orchestration (de la caisse claire à la harpe inquiétante en ostinato) évoquent Chostakovitch, les ruptures de ton entre verticalités acérées et passages faussement apaisés se tournent davantage vers Roussel. L’atmosphère tragique entonnée par les cuivres au tout début du deuxième mouvement fait penser quant à elle à la manière de Kurt Weill avant son départ aux Etats‑Unis, du Lac d’Argent aux Sept péchés capitaux. Toutes ces influences n’empêchent pas Barraine de trouver un ton propre, qui, au‑delà de la maîtrise formelle, sait embrasser un souffle d’une vitalité allante, de plus en plus solaire jusqu’au paroxysme du mouvement conclusif. Cristian Măcelaru allège la pâte orchestrale pour mieux faire ressortir les subtilités d’orchestration, donnant ainsi à entendre quelques moments inoubliables, tel ce passage du dernier mouvement, tout en transparence dans les aigus confiés aux violons, flûtes et hautbois.

Le chef roumain est peut-être plus encore à son affaire pour faire ressortir les sortilèges harmoniques des Images (1913) de Debussy, en un festival de couleurs distillées comme un feu d’artifice. L’élan narratif passe au second plan, tant ce geste évite de privilégier la mélodie principale, donnant à l’ensemble un vent de modernité plus décoiffant qu’à l’habitude, notamment pour le tube Iberia. Aucune espagnolade dans cette interprétation, mais plutôt une volonté de surprendre par des phrasés aussi chaloupés que chaleureux. En bis, toute la grâce aérienne de la compositrice Cécile Chaminade s’épanouit dans le gracieux « Pas des écharpes », tiré du ballet Callirhoé (1888).

Avant l’entracte, le Concerto pour violon (1879) de Brahms a pu initialement dérouter par sa volonté de fouiller les détails, sans toutefois sacrifier au discours d’ensemble. Il faut certainement arriver à évacuer toute une tradition interprétative germanique, aux élans massifs et tragiques, pour apprécier les variations de tempo et les phrasés mouvants de Măcelaru, tous parcourus d’infimes nuances. Quel plaisir, pourtant, lorsqu’on parvient ainsi à ouvrir ses chakras ! Le Roumain a sa vision et s’y tient tout du long, en ralentissant ostensiblement la mesure dans les passages lents, qui semblent l’intéresser bien davantage (une constante tout au long de la soirée), pour mieux s’emporter dans les verticalités, plus expédiées en comparaison. Julia Fischer (née en 1983) épouse ce geste contrasté et sans pathos par une relance du discours musical toujours intense et engagée, montrant qu’elle n’a rien perdu de son tempérament avec les années. En bis, la violoniste allemande reprend un bis typique de la génération des années 2000 à laquelle elle appartient, en interprétant la Sarabande de la Deuxième Partita de Bach, avant de surprendre davantage en mettant en avant toute l’espièglerie doucereuse du Treizième Caprice de Paganini, en second bis conclusif.