Parmi les cinq productions mises en scène cette saison au Théâtre des Champs‑Elysées (TCE), celle de Robinson Crusoé
(1867) d’Offenbach fait figure d’événement, tant le duo Laurent
Pelly-Marc Minkowski excelle en matière de répertoire léger. Après les
succès d’Orphée aux enfers, La Belle Hélène, puis La Grande‑Duchesse de Gérolstein,
c’est là une nouvelle collaboration à saluer, qui met en lumière le
génie du « petit Mozart des Champs‑Elysées » (surnom affectueusement
attribué par Rossini à son cadet). Notons encore qu’il s’agit d’une
coproduction avec l’Opéra de Rennes et Angers Nantes Opéra – ce dernier
étant chargé notamment de la conception des décors et costumes.
Dès l’arrivée, une grande partie du public découvre les nouveaux
aménagements internes du TCE, suite aux travaux réalisés cet été : le
ravissement opère d’emblée, tant la réfection du hall d’entrée, avec
nouveaux comptoirs et sofas aux couleurs discrètes, s’intègre
parfaitement à l’esprit des lieux. La nouvelle boutique installée dans
les circulations autour du parterre prend la place d’un bronze de
Bourdelle : un partenariat avec le musée du sculpteur, installé à
Montparnasse, a permis de placer trois nouvelles statues plus petites,
mises en valeur au premier balcon (lui aussi rénové). Les autres étages
seront retravaillés lors des prochains congés estivaux, afin de
poursuivre cette cure de jouvence. En attendant, la plus grande surprise
visuelle vient du plafond lumineux de la grande salle, dont l’éclairage
a été entièrement repensé pour le gratifier d’une alternance de
couleurs chaudes superbes, mettant en valeur son dessin Art déco. Une
réussite que l’on peut d’ores et déjà apprécier sur la page du site de l’institution parisienne dédiée au projet.
Une fois remis de la découverte de toutes ces curiosités, la
concentration sur le spectacle opère immédiatement, dès que les
spectateurs ont été plongés dans le noir complet (une nouveauté là aussi
pour le TCE). De quoi se délecter du rare Robinson Crusoé, qui
n’avait plus été représenté à Paris depuis la production de Robert Dhéry
en 1986, salle Favart. On comprend pourquoi, tant cet opéra‑comique est
desservi par son livret pour le moins problématique : en convoquant
tous les clichés racistes et coloniaux de son époque, l’ouvrage gagne en
action ce qu’il perd en crédibilité face au modèle littéraire de Daniel
Defoe. Dès lors, il faut prendre du recul avec les péripéties de cette
pochade pour apprécier toutes les qualités musicales d’Offenbach,
surtout inspiré dans le deuxième acte.
Pour pallier l’écueil d’un livret daté, Laurent Pelly a choisi d’adapter
les dialogues avec son habituelle partenaire Agathe Mélinand, ce qui
permet à sa transposition de fonctionner : les « sauvages » présents
dans l’île de Robinson sont ici grimés en capitalistes ivres de leur
pouvoir, jusqu’au cannibalisme, sans parler de leur comportement de
prédateurs sexuels lors d’une scène drôlissime qui moque Donald Trump.
Pour autant, ce travail ne permet pas tout à fait d’animer le statique
premier acte, où les personnages évoluent dans l’espace réduit d’un
confort bourgeois sclérosant, à la manière d’automates. Le III joue la
carte de la sobriété face à un livret qui continue de s’amincir, mais
qui bénéficie toujours du brio de la muse d’Offenbach. La satire
fonctionne à plein, sans jamais surcharger le propos, donnant au
spectacle une prestance sans ostentation.
Le plateau vocal réuni apporte beaucoup de satisfactions, au premier
rang desquelles la prestation radieuse de facilité de Sahy Ratia
(Robinson), qui malgré un manque de puissance lors des deux derniers
actes, ravit par son émission claire et agile, sans parler de la beauté
de son timbre. A ses côtés, Julie Fuchs (Edwige) peine dans le medium et
les passages rapides lors des ensembles au I, tout en trouvant la
pleine mesure de son rôle ensuite, en s’affirmant brillamment dans les
parties virtuoses en pleine voix. Annoncée souffrante, Adèle Charvet
(Vendredi) montre une tenue de ligne légèrement instable, mais d’une
incomparable vérité théâtrale. On aime aussi le Toby sonore et incarné
de Marc Mauillon, toujours très à l’aise dans la diction, à l’instar du
parfait Laurent Naouri (Sir William Crusoé). Peu connue en France, la
soprano québécoise Emma Fekete (Suzanne) manque encore quelque peu de
coffre, mais convainc dans la musicalité de ses phrasés aériens. Enfin,
la morgue inimitable de Rodolphe Briand (Jim‑Cocks), comme les graves
affirmés de Julie Pasturaud (Deborah), complètent admirablement cette
distribution.
Comme à son habitude, Marc Minkowski empoigne ses troupes d’une énergie
roborative souvent rageuse dans les verticalités, dont les attaques
sèches n’évitent pas certaines approximations au niveau de la justesse.
Il est dommage que ce brio vienne parfois couvrir le plateau, notamment
au niveau des cuivres très sonores. Même si on aimerait des tempi avec
davantage de respiration, les détails colorés révélés donnent
heureusement un peu de baume au cœur.


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire