jeudi 4 décembre 2025

« Robinson Crusoé » de Jacques Offenbach - Laurent Pelly - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 03/12/2025

Parmi les cinq productions mises en scène cette saison au Théâtre des Champs‑Elysées (TCE), celle de Robinson Crusoé (1867) d’Offenbach fait figure d’événement, tant le duo Laurent Pelly-Marc Minkowski excelle en matière de répertoire léger. Après les succès d’Orphée aux enfers, La Belle Hélène, puis La Grande‑Duchesse de Gérolstein, c’est là une nouvelle collaboration à saluer, qui met en lumière le génie du « petit Mozart des Champs‑Elysées » (surnom affectueusement attribué par Rossini à son cadet). Notons encore qu’il s’agit d’une coproduction avec l’Opéra de Rennes et Angers Nantes Opéra – ce dernier étant chargé notamment de la conception des décors et costumes.

Dès l’arrivée, une grande partie du public découvre les nouveaux aménagements internes du TCE, suite aux travaux réalisés cet été : le ravissement opère d’emblée, tant la réfection du hall d’entrée, avec nouveaux comptoirs et sofas aux couleurs discrètes, s’intègre parfaitement à l’esprit des lieux. La nouvelle boutique installée dans les circulations autour du parterre prend la place d’un bronze de Bourdelle : un partenariat avec le musée du sculpteur, installé à Montparnasse, a permis de placer trois nouvelles statues plus petites, mises en valeur au premier balcon (lui aussi rénové). Les autres étages seront retravaillés lors des prochains congés estivaux, afin de poursuivre cette cure de jouvence. En attendant, la plus grande surprise visuelle vient du plafond lumineux de la grande salle, dont l’éclairage a été entièrement repensé pour le gratifier d’une alternance de couleurs chaudes superbes, mettant en valeur son dessin Art déco. Une réussite que l’on peut d’ores et déjà apprécier sur la page du site de l’institution parisienne dédiée au projet.

Une fois remis de la découverte de toutes ces curiosités, la concentration sur le spectacle opère immédiatement, dès que les spectateurs ont été plongés dans le noir complet (une nouveauté là aussi pour le TCE). De quoi se délecter du rare Robinson Crusoé, qui n’avait plus été représenté à Paris depuis la production de Robert Dhéry en 1986, salle Favart. On comprend pourquoi, tant cet opéra‑comique est desservi par son livret pour le moins problématique : en convoquant tous les clichés racistes et coloniaux de son époque, l’ouvrage gagne en action ce qu’il perd en crédibilité face au modèle littéraire de Daniel Defoe. Dès lors, il faut prendre du recul avec les péripéties de cette pochade pour apprécier toutes les qualités musicales d’Offenbach, surtout inspiré dans le deuxième acte.

Pour pallier l’écueil d’un livret daté, Laurent Pelly a choisi d’adapter les dialogues avec son habituelle partenaire Agathe Mélinand, ce qui permet à sa transposition de fonctionner : les « sauvages » présents dans l’île de Robinson sont ici grimés en capitalistes ivres de leur pouvoir, jusqu’au cannibalisme, sans parler de leur comportement de prédateurs sexuels lors d’une scène drôlissime qui moque Donald Trump. Pour autant, ce travail ne permet pas tout à fait d’animer le statique premier acte, où les personnages évoluent dans l’espace réduit d’un confort bourgeois sclérosant, à la manière d’automates. Le III joue la carte de la sobriété face à un livret qui continue de s’amincir, mais qui bénéficie toujours du brio de la muse d’Offenbach. La satire fonctionne à plein, sans jamais surcharger le propos, donnant au spectacle une prestance sans ostentation.

Le plateau vocal réuni apporte beaucoup de satisfactions, au premier rang desquelles la prestation radieuse de facilité de Sahy Ratia (Robinson), qui malgré un manque de puissance lors des deux derniers actes, ravit par son émission claire et agile, sans parler de la beauté de son timbre. A ses côtés, Julie Fuchs (Edwige) peine dans le medium et les passages rapides lors des ensembles au I, tout en trouvant la pleine mesure de son rôle ensuite, en s’affirmant brillamment dans les parties virtuoses en pleine voix. Annoncée souffrante, Adèle Charvet (Vendredi) montre une tenue de ligne légèrement instable, mais d’une incomparable vérité théâtrale. On aime aussi le Toby sonore et incarné de Marc Mauillon, toujours très à l’aise dans la diction, à l’instar du parfait Laurent Naouri (Sir William Crusoé). Peu connue en France, la soprano québécoise Emma Fekete (Suzanne) manque encore quelque peu de coffre, mais convainc dans la musicalité de ses phrasés aériens. Enfin, la morgue inimitable de Rodolphe Briand (Jim‑Cocks), comme les graves affirmés de Julie Pasturaud (Deborah), complètent admirablement cette distribution.

Comme à son habitude, Marc Minkowski empoigne ses troupes d’une énergie roborative souvent rageuse dans les verticalités, dont les attaques sèches n’évitent pas certaines approximations au niveau de la justesse. Il est dommage que ce brio vienne parfois couvrir le plateau, notamment au niveau des cuivres très sonores. Même si on aimerait des tempi avec davantage de respiration, les détails colorés révélés donnent heureusement un peu de baume au cœur.

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