Pas moins de dix dates pour aller applaudir l’une des productions les plus réjouissantes de l’année au Théâtre des Champs-Elysées : avec cette Périchole de haut vol, cela faisait longtemps que l’on avait entendu pareil public aussi enthousiaste au moment des saluts ! Il faut dire que la distribution réunie – en réalité une double distribution pour deux des trois interprètes principaux – se montre proche de l’idéal, jusque dans les moindres seconds rôles. Ainsi des excellents personnages de caractère, essentiellement parlés, tenus par les impayables Rodolphe Briand (Panatellas) et Lionel Lhote (Hinoyosa), de même que les trois cousines hautes en couleur, plus sollicitées au niveau chant, d’un niveau global superlatif. On aime aussi la prestation délirante d’Alexandre Duhamel (en alternance avec Laurent Naouri), méconnaissable en dictateur d’opérette d’une République bananière, qui offre un confort sonore gourmand à son rôle, à l’instar du choeur de l’Opéra national de Bordeaux, très bon connaisseur de l’ouvrage (voir notamment la production donnée à Bordeaux en 2018, dans la mise en scène de Romain Gilbert, ainsi que le disque enregistré dans la foulée par le Palazzetto Bru Zane).
Grande triomphatrice de la soirée, la Périchole de Marina Viotti (en alternance avec Antoinette Dennefeld) impressionne par son aisance scénique et sa prononciation parfaite, elle qui maitrise parfaitement la langue de Molière, malgré ses origines italophones. Moins connue dans nos contrées que son père Marcello et son frère Lorenzo, tous deux chefs d’orchestre, la Suissesse a remporté en 2015 le Prix international du Belcanto au festival Rossini de Bad Wildbad, avant d’être accueillie sur les plus grandes scènes, de Barcelone à Strasbourg, en passant par Lausanne, Genève et Milan. De quoi se délecter de ses intentions gorgées de couleurs, son émission souple et naturelle, sans parler de son timbre grave splendide. On espère la retrouver très vite dans ce répertoire, à l’instar de Stanislas de Barbeyrac (Piquillo), qui donne une leçon de classe vocale à force de précision dans l’articulation et les nuances de phrasés, toujours en lien avec les intentions de la mise en scène. Son talent comique explose ici avec une énergie parfaitement maitrisée, tant le ténor français semble prendre un plaisir communicatif à jouer les naïfs bourrus, ne forçant jamais le trait dans l’accent populaire des passages parlés.
Marina Viotti et Stanislas de Barbeyrac |
De quoi mettre en relief la transposition contemporaine de Pelly, qui
insiste sur le fossé entre les masses populaires désargentées et
débraillées avec l’élite manipulatrice : le renversement scénique n’est
que plus spectaculaire au II, lorsqu’on passe des HLM déglingués aux
salons venimeux, dont les velours chics et tocs évoquent une sauterie à
venir. La farce, volontairement sombre, moque le comportement prédateur
du Vice-Roi, tout autant que ses affidés, chiens de garde aussi
superficiels que ridicules. Comme à son habitude, Laurent Pelly porte
son attention sur le moindre protagoniste, aussi mineur soit-il, pour en
développer le caractère par une gestuelle aux détails très travaillés :
ainsi du choeur, très présent dans ses interactions avec les
personnages principaux, mais aussi des rôles secondaires aux mimiques
savoureuses, telles que les cousines délurées au I ou les courtisanes
maniérées au II. Un grand spectacle à savourer jusqu’au 27 novembre
prochain : courrez-y !
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