La Princesse au petit pois d'Andersen |
Présentée à l’Opéra de Lille en 2017, La Double Coquette de Dauvergne avait déjà permis d’apprécier tout le goût de Gérard Pesson (né en 1958) pour l’adaptation musicale. On le retrouve cette fois accompagné de l’excellent David Lescot (dont le travail dans La finta giardiniera de Mozart avait fait grand bruit ici-même en 2014)
en un spectacle au titre trompeur qui incite à penser que les enfants
en sont la cible. Il n’en est rien, tant les trois contes déconcertent
dans un premier temps par l’hétérogénéité des sujets abordés et le
sérieux manifeste du propos. Pour autant, l’idée de ce travail est bien
de confronter notre regard avec les raccourcis et faux semblants propres
à l’imaginaire et au merveilleux, tout autant qu’à notre capacité à
nous illusionner pour échapper à la réalité.
Le spectacle débute avec l’adaptation de La Princesse au petit pois
(1835) d’Andersen, revisitée en pas moins de six versions différentes
qui dynamitent notre regard sur cette histoire si simple en apparence. A
la manière de Bruno Bettelheim dans sa célèbre Psychanalyse des contes
de fée (Laffont, 1976), David Lescot (né en 1971) fouille les moindres
recoins du récit pour en extraire toute les significations possibles,
interrogeant autant son rôle initiatique (la petite fille qui n’est pas
une princesse doit pouvoir supporter l’inconfort matériel) que
symbolique : avant de pouvoir prouver son statut par l’épreuve du petit
pois, la princesse n’est-elle pas d’abord une étrangère dont on doit se
méfier ? Lescot dynamite également les codes attendus de ce type de
récit, y adjoignant une deuxième princesse qui vient retrouver les
amoureux dans leur lit : un trio espiègle et inattendu, bien éloigné des
versions moralisantes souvent à l’œuvre dans les contes.
Autour de ce jeu sur les apparences, David Lescot
pousse le spectateur à s’interroger sur l’influence du jeu et de la
mise en scène dans la compréhension du récit, afin de l’amener à affuter
son regard critique face à ce qui lui est donné à voir et entendre. La
mise en scène, élégante et épurée, donne à voir plusieurs jeux de miroir
virtuoses, tandis que Gérard Pesson tisse un accompagnement ivre de
couleurs et de sonorités variées, toujours attentif à la moindre
inflexion dramatique. On est souvent proche de l’art d’un Britten dans
la capacité à minorer le rôle des cordes pour faire valoir toutes les
ressources de l’orchestre, en premier lieu vents et percussions : du
grand art.
Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini |
Changement radical d’atmosphère avec Le Manteau de Proust
adapté du roman éponyme de Lorenza Foschini (née en 1949), édité en
2012 par Quai Voltaire. Le conte moque l’ignorance et la bêtise de la
famille de Proust, incapable de saisir la sensibilité et surtout la
valeur artistique de la correspondance de l’écrivain français. La
musique se ralentit pour faire valoir une myriade d’ambiances assez
sombres, toujours très raffinées dans l’écriture, tandis que la mise en
scène passe astucieusement d’un lieu à l’autre au moyen de saynètes
réjouissantes, dévoilées en un ballet hypnotique en avant-scène, à la
manière d’un plateau tournant. Autant les qualités minimalistes et
plastiques de l’ensemble, que la capacité à rapidement présenter de
nouveaux tableaux, rappellent l’art d’un Joël Pommerat, un auteur lui
aussi attiré par la noirceur des contes.
Le dernier conte, adapté du Diable dans le Beffroi
(1839) d’Edgar Allan Poe, convainc beaucoup moins en comparaison, du
fait d’une histoire plus simpliste : l’écrivain américain y moque
l’étroitesse d’esprit et le conformisme d’une société puritaine
entièrement tournée vers elle-même. L’arrivée d’un intrus, le Diable en
personne, sonne comme le réveil de ces consciences endormies et
passives. La mise en scène joue sur les personnages figés,
délicieusement ridicules, tandis que Pesson se montre moins à l’aise,
donnant quelque peu l’impression de tourner en rond dans son
inspiration, et ce malgré l’impeccable narrateur incarné par le
pince-sans-rire Jos Houben. Côté chant, on notera un plateau vocal admirable d’homogénéité, dominé par le chant radieux et bien projeté de Marc Mauillon.
Malgré les réserves sur le dernier conte, les deux premiers d’entre eux
devraient rapidement s’installer au répertoire comme des classiques du
XXIème siècle : les reprises prévues à Rouen, Rennes et Nantes,
coproducteurs du spectacle, seront ainsi vivement attendues.
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