On saluera encore une fois l’audace de la programmation de l’Opéra de
Lyon, qui nous permet cette année de découvrir sur scène le rarissime L’Enchanteresse (1887), neuvième opéra de Tchaïkovski, composé peu de temps avant sa Cinquième Symphonie. Délaissé dans nos contrées au profit des ouvrages plus connus (la seule représentation récente a été donnée à Anvers en 2011), tels qu’Eugène Onéguine (1879) ou La Dame de pique (1890), L’Enchanteresse
est desservi par un livret alambiqué
et, dans une moindre mesure, par sa durée: les trois heures de musique
en font le plus long ouvrage lyrique composé par Tchaïkovski. Fort
heureusement, l’inspiration musicale se délecte des nombreuses
atmosphères, de la grande beuverie populaire initiale aux duos assassins
entre époux au II, sans parler des danses irrésistibles ou des scènes
de chasse au IV. On est souvent emporté par l’ivresse mélodique toujours
renouvelée, tout autant que la variété des duos et ensembles pour
chaque scène.
S’il faut dès lors absolument connaître cet ouvrage, il reste le problème de son livret confus, auquel s’attaque Andriy Zholdak avec audace: après son controversé Roi Candaule de Zemlinsky à Anvers en 2016, le metteur en scène russe cherche à donner davantage d’épaisseur psychologique aux trop nombreux personnages en présence. Pour cela, il choisit de mettre au centre de l’action la figure secondaire du clerc Mamyrov dès le début de l’ouvrage, en montrant des images vidéo de l’ecclésiastique après son office lyonnais, dans la sphère privée: équipé d’un appareil de réalité virtuelle augmentée, le clerc quitte la capitale des Gaules pour se retrouver propulsé dans la Russie de Nastassia et ses acolytes, en les faisant agir à sa guise, intervenant dans l’action au gré de ses fantasmes les plus délirants. Les deux premiers actes sont ainsi une réussite marquante de ce point de vue, tant les nombreuses outrances impriment un rythme sans temps mort, le tout magnifié par une scénographie splendide. Zholdak a en effet la bonne idée de répartir l’action en trois lieux distincts, tel un triptyque religieux, qui donnent à voir de nombreux et inattendus sous-textes au livret (le culte du corps moqué, la prédation sexuelle omniprésente, etc.). On découvre ainsi le double jeu hypocrite de la plupart des «méchants», tous englués dans une bigoterie de façade, tout en s’adonnant à de multiples perversions, telle une ronde des luxures: le parallèle avec le contexte lyonnais actuel n’en est ainsi que plus fort.
Pour autant, Zholdak montre rapidement quelques limites avec une propension à en faire trop, signifiant et sur-signifiant la moindre intention musicale, y compris dans certaines scènes où le livret tient la route (tel l’affrontement déjà cité entre les époux au II). Il n’évite pas, aussi, certaines redondances fatigantes à la longue et pas toujours très lisibles – notamment la présence des guerrières japonaises sexy façon manga, trop souvent sollicitée. Plus grave, avec des lieux peu pertinents par rapport à l’action, il semble peu inspiré lors des deux derniers actes, donnant une furieuse impression de tourner en rond par rapport à la première partie de soirée.
S’il faut dès lors absolument connaître cet ouvrage, il reste le problème de son livret confus, auquel s’attaque Andriy Zholdak avec audace: après son controversé Roi Candaule de Zemlinsky à Anvers en 2016, le metteur en scène russe cherche à donner davantage d’épaisseur psychologique aux trop nombreux personnages en présence. Pour cela, il choisit de mettre au centre de l’action la figure secondaire du clerc Mamyrov dès le début de l’ouvrage, en montrant des images vidéo de l’ecclésiastique après son office lyonnais, dans la sphère privée: équipé d’un appareil de réalité virtuelle augmentée, le clerc quitte la capitale des Gaules pour se retrouver propulsé dans la Russie de Nastassia et ses acolytes, en les faisant agir à sa guise, intervenant dans l’action au gré de ses fantasmes les plus délirants. Les deux premiers actes sont ainsi une réussite marquante de ce point de vue, tant les nombreuses outrances impriment un rythme sans temps mort, le tout magnifié par une scénographie splendide. Zholdak a en effet la bonne idée de répartir l’action en trois lieux distincts, tel un triptyque religieux, qui donnent à voir de nombreux et inattendus sous-textes au livret (le culte du corps moqué, la prédation sexuelle omniprésente, etc.). On découvre ainsi le double jeu hypocrite de la plupart des «méchants», tous englués dans une bigoterie de façade, tout en s’adonnant à de multiples perversions, telle une ronde des luxures: le parallèle avec le contexte lyonnais actuel n’en est ainsi que plus fort.
Pour autant, Zholdak montre rapidement quelques limites avec une propension à en faire trop, signifiant et sur-signifiant la moindre intention musicale, y compris dans certaines scènes où le livret tient la route (tel l’affrontement déjà cité entre les époux au II). Il n’évite pas, aussi, certaines redondances fatigantes à la longue et pas toujours très lisibles – notamment la présence des guerrières japonaises sexy façon manga, trop souvent sollicitée. Plus grave, avec des lieux peu pertinents par rapport à l’action, il semble peu inspiré lors des deux derniers actes, donnant une furieuse impression de tourner en rond par rapport à la première partie de soirée.
Face à cette mise en scène inventive mais trop inégale, copieusement sifflée en fin de représentation, le plateau vocal réuni s’avère réjouissant de bout en bout, particulièrement les seconds rôles superlatifs et du côté féminin. Très applaudie, Elena Guseva (Nastassia) s’impose logiquement à force de rondeur d’émission, mettant en valeur son timbre superbe. Seul le suraigu semble parfois souffrir d’un léger saut de registre, ce qui est largement compensé par un investissement dramatique de tous les instants. De caractère, Ksenia Vyaznikova (Romanovna) ne manque pas, donnant à son rôle une présence physique irrésistible, le tout avec une aisance technique confondante: on aimerait l’entendre à nouveau très vite dans l’Hexagone. A ses côtés, les premiers rôles masculins sont moins impressionnants, tout en offrant une bonne prestation d’ensemble. Ainsi d’Evez Abdulla (Kourliatev), à l’émission un peu serrée mais qui parvient à séduire par sa belle ligne de chant, très noble. Migran Agadzhanyan est quant à lui un Youri satisfaisant, même si le timbre n’est pas aussi opulent et préservé que ses comparses.
Enfin, Daniele Rustioni dirige un Orchestre de l’Opéra de Lyon en grande forme, donnant beaucoup d’énergie et d’enthousiasme à l’ensemble du plateau, même si l’on note ici et là quelques décalages, sans doute dus au nombre conséquent d’interprètes en présence. Outre les représentations lyonnaises, il sera possible de découvrir la captation radiophonique de cette production sur France Musique, le 14 avril prochain.
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