Fidèle à sa mission, le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique
romantique française, basé à Venise) nous réjouit une fois encore en
jetant son dévolu sur l’un des plus grands succès de la muse lyrique
légère au XIXe siècle : La Fille de Madame Angot de Charles
Lecocq (1832-1918). C’est là le tout premier triomphe du contemporain de
Bizet, avec lequel il remporta ex æquo un concours d’opérette en tout
début de carrière, avec Le Docteur Miracle (donné voilà deux ans au Studio Marigny, déjà par les équipes du Palazzetto).
Au sortir de la guerre perdue face aux Prussiens en 1870, Lecocq prend
l’exact contrepied d’Offenbach, empêtré dans sa trop longue et
dispendieuse satire Le Roi Carotte (voir la production écourtée de Laurent Pelly, reprise à Lyon voilà deux ans),
pour proposer une comédie légère et virevoltante, en un lointain
hommage à Boieldieu. Moquant l’éternelle valse des régimes en France, le
livret nous ramène au temps du Directoire, en donnant la parole à la
savoureuse gouaille populaire des Halles, tout en y incorporant des
figures contre-révolutionnaires alors bien connues, Louis-Ange Pitou et
Mademoiselle Lange.
Leurs incessants allers-retours en prison donnent la principale action
au livret, malheureusement trop statique et longuet dans ses résolutions
boulevardières. Certaines scènes restent toutefois mémorables par leur
caractérisation truculente et colorée, tels l’affrontement entre les
deux héroïnes ou les interventions goguenardes du chœur face aux
solistes, en de nombreux endroits. Mais c’est bien la faiblesse du
livret qui explique pourquoi les équipes du Palazzetto Bru Zane ont
préféré la version de concert, à l’inverse de l’Opéra de Lausanne en 2010.
Sébastien Rouland |
Vivement applaudi à l’issue de la représentation, le beau plateau vocal
réuni aurait pu être meilleur encore si Véronique Gens avait été
davantage en forme. Peu audible dans le medium et en difficultés dans
les accélérations, la soprano française compense par ses beaux phrasés
dans les parties apaisées. Gageons que le disque à paraître avec les
mêmes interprètes, dans l’élégante collection des livres-disques de
l’éditeur Glossa, saura gommer ces imperfections. A ses côtés,
Anne-Catherine Gillet (Clairette) s’impose avec aisance dans l’agilité
vocale, soutenue par une fraîcheur de timbre et le soyeux de l’émission,
tout en semblant prendre beaucoup de plaisir tout du long de la soirée
dans son rôle de jeune intrigante. On aime aussi la leçon de diction de
Mathias Vidal (Ange Pitou), toujours aussi saisissant dans l’intention
et la vérité dramatique, à l’instar d’Artavazd Sargsyan (Pomponnet), au
timbre malheureusement un peu voilé par endroits. Autour du solide
Matthieu Lécroart (Larivaudière), tous les seconds rôles essentiellement
parlés donnent beaucoup de saveur populaire, rappelant combien l’esprit
de troupe est important dans ce répertoire.
La direction vive et efficace de Sébastien Rouland apporte aussi
beaucoup d’électricité à l’ensemble, même si elle peine à convaincre sur
la durée par le peu d’exploration des climats et nuances. On est aussi
quelque peu déçu par le terne pupitre de premiers violons de l’Ensemble
orchestral de Paris, tandis que le chœur du Concert spirituel, meilleur
dans ses éléments masculins, se laisse trop couvrir par le chef.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire