vendredi 1 avril 2022

« Cendrillon » de Jules Massenet - Mariame Clément - Opéra Bastille à Paris - 29/03/2022

Depuis plusieurs années, la Cendrillon (1899) de Jules Massenet s’est imposée comme l’un des ouvrages les plus représentés de son auteur, aux côtés de Manon (1884) et Werther (1892). Il a été ainsi possible d’entendre ce chef d’oeuvre tardif à Marseille en 2009, à l’Opéra-Comique en 2011, à Nantes en 2018 et surtout à New York en début d’année (pour une reprise du spectacle de Laurent Pelly déjà monté à Santa Fe en 2006).

L’entrée au répertoire de l’ouvrage à l’Opéra de Paris permet de se délecter des harmonies raffinées de Massenet, qui étonne par une orchestration subtile et souvent allégée en maints endroits, avec des combinaisons de sonorités souvent audacieuses (flûte, harpe et alto, par exemple), toujours au service de la caractérisation des événements. L’ancien élève d’Ambroise Thomas fait aussi valoir ses habituelles qualités d’écriture pour la voix, toujours insérée naturellement dans l’action dramatique, même si les parties nocturnes et rêveuses apparaissent plus réussies. La principale faiblesse revient au livret, qui minore les aspects comiques, plus présents chez Rossini, pour privilégier un romantisme parfois naïf, et ce malgré l’adresse finale au public en forme de pirouette.

La nouvelle production imaginée par Mariame Clément (déjà accueillie à l’Opéra de Paris en 2014, avec Hansel et Gretel d’Humperdinck) surprend d’emblée par son évocation visuelle très réussie de la Belle Epoque (immense décor industriel pour camper l’intimité de Cendrillon, puis Palais de verre lorsqu’elle affronte le monde), tout en donnant une place à la féérie du conte – notamment les encarts en papier découpé, régulièrement projetés sur le rideau de scène, avant les principaux tableaux. La direction d’acteur, autant que les décors, rappellent souvent l’esprit bon enfant de Michel Ocelot (Dilili à Paris) ou Martin Scorsese (Hugo Cabret).


Mariame Clément réussit aussi le pari de donner davantage de consistance à cette histoire bien connue par l’ajout d’idées savoureuses : ainsi de la machine aux pouvoirs magiques (prétexte à quelques gags en début d’ouvrage), sans parler de l’étonnante scène de bal où Cendrillon fait connaissance avec le Prince en catimini et sous son vrai visage. On aime aussi l’idée de vêtir les prétendantes à l’identique, comme autant de clones impersonnels, ou de nous faire croire au rêve de Cendrillon en fin d’ouvrage, lorsque la mère semble perdre la raison et que les sœurs soutiennent l’héroïne. L’image la plus saisissante est toutefois celle de la forêt de containers au III, qui semble cacher des déchets radioactifs : loin du message écologique attendu, c’est un cœur bouillonnant qui apparaît, comme prisonnier des méandres de la terre. Plus tard, on comprend cette référence lorsque le Prince s’écrie « On ne m’a pas rendu mon cœur », avant que sa promise ne lui intime de reprendre « son cœur sanglant ».

Le plateau vocal se montre très satisfaisant au niveau dramatique, hormis la trop discrète Daniela Barcellona (Madame de la Haltière), qui peine à caractériser le ridicule de son personnage, soignant trop la partie vocale au détriment des intonations comiques. Il aurait peut-être fallu privilégier une distribution plus francophone, même si Tara Erraught (Cendrillon) et Anna Stephany (Le prince) s’en sortent bien au niveau de la nécessaire prononciation, souvent déclamatoire. Tara Erraught emporte ainsi l’enthousiasme par son chant généreux et lumineux, parfaitement projeté. On aime plus encore sa partenaire, qui n’est pas en reste dans la rondeur d’émission et l’éclat. Mention particulière pour le Pandolfe tout de noblesse de Lionel Lhote, tandis que les deux soeurs assurent leur partie avec une virtuosité admirablement maîtrisée.

On mentionnera enfin la direction magnifique de subtilité de Carlo Rizzi, qui fait ressortir chaque détail tout en faisant valoir les couleurs d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris en grande forme. Il reste encore des places : courrez découvrir ce très beau spectacle, à savourer jusqu’au 28 avril prochain !

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