Après nous avoir régalé de la fougue jubilatoire du Richard Cœur de Lion (1784), présenté à l’Opéra de Versailles en 2019 (puis en CD/DVD), le metteur en scène Marshall Pynkoski s’attaque à un autre des plus grands succès de Grétry, La Caravane du Caire
(1783). D’abord présentée à Tours, cette coproduction fera ensuite
étape à Versailles l’an prochain avec un plateau vocal en grande partie
renouvelé, sous la baguette d’Hervé Niquet. En attendant, on découvre un
ouvrage au livret assez rudimentaire, qui nous plonge dans les
intrigues du harem du Pacha du Caire : cette turquerie à l’intrigue
proche de la commedia dell’arte embrasse les délices d’un Orient
fantasmé – autant visuellement que musicalement. Il est probable que le
compositeur liégeois ait voulu accompagner les succès obtenus dans cette
veine notamment par Haydn, avec son dramma giocoso La Rencontre imprévue (1775), et surtout Mozart, avec son singspiel L’Enlèvement au sérail (1782).
On note que l’opéra‑ballet de Grétry, contrairement aux ouvrages
similaires de Rameau, ignore les entrées séparées avec des intrigues
indépendantes afin de privilégier une histoire suivie, qui intègre
parfaitement les ballets à l’action. On peut regretter toutefois le peu
de couleurs orientales attachées à la partition, à l’exception notable
de l’exquise « Danse égyptienne » au II, lors de la procession des
esclaves. Grétry préfère moquer la querelle musicale des gluckistes et
piccinistes, lors d’une joute haute en couleur entre esclaves française,
italienne et allemande : la Française a pour elle l’élégance, toute de
transparence un rien naïve, là où l’Italienne n’en finit pas d’asséner
ses roucoulades virtuoses spectaculaires. L’Allemande parait plus
robuste et prosaïque en comparaison, avec son air terne et répétitif.
C’est là un des moments les plus truculents de l’ouvrage, à juste titre
fêté par le public.
La fête est malheureusement quelque peu atténuée par un plateau vocal
pour le moins inégal, d’où ressort le jeu comique toujours aussi
irrésistible d’Enguerrand de Hys (Tamorin), très applaudi. On aime aussi
la prestance radieuse de Jean‑Gabriel Saint Martin (Florestan, Husca), à
l’articulation aisée et parfaitement projetée, tandis que Chloé Jacob
(Almaïde) impressionne dans son air de fureur au III par sa justesse
dramatique et sa technique solide. Si Tatiana Probst (une esclave
italienne) assure l’essentiel dans son air tout aussi périlleux, on est
moins convaincu par Blaise Rantoanina (Saint‑Phar), parfois à la limite
de ses moyens dans l’aigu rétréci, et surtout Olivier Laquerre (le
Pacha), bien faible au niveau vocal (timbre engorgé et émission
étroite). Si le chœur semble souvent trop sonore, c’est sans doute en
raison des indications franches et vigoureuses de Stéphanie‑Marie Degand
(cofondatrice du Concert d’Astrée avec Emmanuelle Haïm en 2000), qui
impose des tempi très vifs. On aimerait davantage de couleurs et de
nuances pour retrouver l’équilibre de l’enregistrement de référence de
Guy Van Waas (Ricercar, 2013), suite au concert donné à Versailles la même année.
Moins réussie que le Richard Cœur de Lion présenté à Versailles,
la nouvelle production de Marshall Pynkoski pèche au niveau de la
direction d’acteur, trop premier degré et peu fouillée au niveau comique
(sans parler de quelques lourdeurs répétitives, telles que les œillades
efféminées de l’eunuque Tamorin). Fort heureusement, le brio des
passages dansés, tout comme les saynètes ajoutées en arrière‑scène (au I
surtout), font de ce spectacle une réussite visuelle, au classicisme
assumé. On note enfin l’utilisation pertinente de la rampe devant
l’orchestre, qui donne davantage de relief en servant de défilé devant
le public, ou la très poétique scène du naufrage de Florestan au III.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
mercredi 27 avril 2022
« La Caravane du Caire » d'André Gretry - Marshall Pynkoski - Opéra de Tours - 26/04/2022
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