Créée en 2004 pour la première toulousaine de Jenůfa (1904) de
Leos Janácek, cette production de Nicolas Joel est la première à
retrouver le chemin des planches depuis le décès de l’ancien directeur
de l’Opéra de Toulouse (1990-2009), survenu en 2020.
On comprend rapidement pourquoi, tant son travail prend peu à peu aux
tripes par sa force d’évocation brute : le décor imposant d’Ezio
Frigerio sait se renouveler finement pendant les trois actes, insistant
tout d’abord sur l’immuabilité du temps qui passe, incarné par la
régularité du cliquetis de la roue du moulin, avant qu’une immense
pierre n’écrase symboliquement les protagonistes, en lien avec propres
mots de Jenůfa et Laca au II. Mais on retient peut-être plus encore les
lignes (la table de mariage ou la passerelle métallique) qui déchirent
symboliquement le décor au III pour décrire les rares échappatoires
offertes aux personnages, tel le chemin de pénitence de la Sacristine –
image forte et inoubliable pour conclure le spectacle. L’autre grand
atout de cette production est incontestablement la direction d’acteur
soutenue de Nicolas Joel, qui oppose d’emblée deux camps, entre la
légèreté des hommes et la gravité des femmes – donnant aussi une entrée
saisissante à la Sacristine, toute de raideur étudiée dans sa démarche
et éloignée (autant par son passé douloureux que sa volonté de protéger
sa fille adoptive) des festivités et beuveries.
Marie‑Adeline Henry et Catherine Hunold |
On ne saurait bien entendu oublier l’interprète d’exception qui illumine
le spectacle de sa force d’incarnation, à chacune de ses apparitions :
Catherine Hunold a trouvé ici un rôle à la mesure de ses qualités
dramatiques superlatives, impressionnant autant par ses regards
hallucinés que ses cris déchirants. On espère la retrouver très vite
dans ce rôle qui semble avoir été écrit pour elle, donnant ce sentiment
d’évidence qu’on a pu ressentir pour d’autres, telle Sylvie
Brunet‑Grupposo, interprète idéale de Madame de Croissy dans Dialogues des Carmélites de Poulenc (notamment à Massy en 2012).
Marie‑Adeline Henry n’est pas en reste pour faire vivre les douleurs
intériorisées de Jenůfa avec ses graves cuivrés, superbement projetés et
engagés. On aime aussi la truculence savoureuse de la grand‑mère de
Cécile Galois, malgré quelques changements de registre un peu brusque.
Mario Rojas campe un solide Steva, tandis que Marius Brenciu (Laca)
manque quelque peu de puissance face aux femmes ou pour soutenir les
tutti orchestraux. Tous les seconds rôles sont brillamment distribués,
aux côtés d’un chœur impeccable de cohésion.
On notera enfin la direction dynamique du chef autrichien Florian
Krumpöck (né en 1978) : l’ancien élève de Daniel Barenboim fait vivre
les couleurs de l’orchestration de son geste souple et aérien, même si
l’on note certains décalages par endroits (notamment avec le xylophone,
placé dans une loge de côté au I).
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