Plus rarement donné que les célébrissimes Lac des cygnes (1877) et Casse‑Noisette (1892), le ballet La Belle au bois dormant
(1890) de Tchaïkovski fait son retour dans une adaptation controversée
de l’Espagnol Marcos Morau (né en 1982), suite à l’initiative d’une
commande conjointe de l’Opéra de Lyon et de la Grande Halle de La
Villette. Remarqué dès 2013 avec l’obtention du Prix national de danse
décerné par le ministère espagnol de la culture, le chorégraphe s’est
illustré dans la photographie et le théâtre avant de s’imposer avec son
collectif La Veronal. Basé à Barcelone, le trublion a reçu l’an passé
les honneurs d’une création au festival d’Avignon, avec son spectacle Sonoma, repris dans la foulée sur de nombreuses scènes en France et en Suisse notamment.
D’emblée, le spectacle surprend par sa musique enregistrée qui évacue
rapidement Tchaïkovski pour préférer les rythmes frénétiques de Juan
Cristobal Saavedra, avec ses basses assourdissantes, ses stridences
répétitives et son ambiance anxiogène : la musique de Tchaïkovski
revient ensuite par intermittence, souvent augmentée de bruitages
industriels parasites. Après cette première déception sonore vient
l’autre écueil du spectacle : le refus assumé de toute dramaturgie de la
part de Morau, qui écarte les attendus du conte en imaginant une
héroïne qui ne se réveille pas, ballottée tout du long par l’ensemble
des quinze danseurs (hommes et femmes), tous grimés de la même façon
avec leurs robes fantomatiques. Dès lors, on se laisse bercer par un
catalogue de belles images, qui évoquent souvent l’univers
vénéneux d’un Stefano Poda (voir notamment Ariane et Barbe‑Bleue à Toulouse en 2019), avec ses cadrages à géométrie variable, ses éclairages blafards et sa propension au spectaculaire.
Semblant privés de jambes, les danseurs forment initialement un magma
énigmatique commun, d’où ressortent saccades épileptiques et mimiques
que l’on croirait tout droit sorties d’une basse‑cour en folie. Peu à
peu, les corps se dégagent et semblent voler sur le sol, en un ballet
hypnotique d’une effervescence vaine mais toujours intrigante avec ses
portés virevoltants et admirablement maîtrisés. Après une niaiseuse
comptine chantée par les danseurs, Morau n’évite malheureusement pas la
redondance lorsqu’il fait disjoncter ses interprètes électrocutés,
saisis alternativement par les raideurs d’une transe convulsive. La
dernière partie du spectacle, avec l'effeuillage inutile de ses
interprètes, va jusqu’au bout du parti pris obsessionnel de faire
valdinguer les attendus : après le conte évacué, le décor est peu à peu
détruit par les danseurs, qui courent pendant des minutes interminables
autour de la structure métallique dévoilée, sans but. Des danseurs qui
courent ? Et pourquoi pas des chanteurs qui mangent en chantant ?
A vouloir casser les codes et mépriser le récit narratif, Morau propose
une non‑adaptation en forme de spectacle interchangeable, reposant sur
le seul visuel et qui aurait pu tout aussi bien s’appeler Cendrillon, Peau d’âne ou que sais‑je encore. A oublier d’urgence.
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