Hormis Le Postillon de Lonjumeau (1836), revisité en 2019 à l’Opéra‑Comique, et le ballet Giselle
(1841), les ouvrages d’Adolphe Adam sont aujourd’hui tombés dans
l’oubli, à l’instar de ceux de Daniel-François-Esprit Auber, autre
compositeur français emblématique de son temps. On ne peut donc que se
féliciter des initiatives de l’Opéra de Toulon pour faire vivre ce
répertoire mésestimé, comme en 2016 avec Le Chalet, et aujourd’hui Si j’étais roi
(1852), un des derniers succès de la carrière de l’ancien élève de
Boieldieu. A la manière des ouvrages qui moquent la crédulité des
puissants en leur donnant à voir un monde imaginaire (voir notamment Le Monde de la lune
de Haydn), Adam et ses librettistes font vivre au pêcheur Zephoris une
unique journée de chimère, où le malheureux se voit convaincre de ses
éphémères attributs royaux. Ce sera pour lui l’occasion de révéler sa
clairvoyance et sa bravoure, autant de qualités décisives pour mériter
la main de la belle princesse Zélide.
Dès l’Ouverture, le metteur en scène Marc Adam (aucun lien de parenté
avec le compositeur) donne à voir le fossé social qui sépare les deux
futurs tourtereaux, réunis au musée devant une immense toile marine :
pendant que la jeune fille s’entraîne devant son chevalet à copier le
tableau, son futur promis tente maladroitement d’attirer son attention
en négligeant ses tâches ménagères, ce qui lui vaut d’être rabroué par
son supérieur en plusieurs saynètes comiques. Puis une double mise en
abîme nous entraine dans le tableau qui prend vie peu à peu sous nos
yeux : les personnages endossent leurs rôles véritables, avant d’en
sortir à nouveau pour se livrer au jeu de dupe du pêcheur. Ces
allers‑retours savoureux donnent une hauteur de vue inattendue à ce
livret certes charmant mais aux rebondissements prévisibles, à même de
mettre en relief le périple initiatique de Zephoris et sa fable morale
intemporelle. On tient là un travail richement illustré (notamment les
splendides costumes d’époque imaginés par Magali Gerberon), soutenu par
une direction d’acteur vivante et attentive aux moindres détails.
On découvre là un compositeur au faîte de ses moyens, toujours aussi en
verve dans l’éclat et la myriade de couleurs apportés aux différents
tableaux, admirablement différenciés. Ce brio est mis en valeur par le
geste allégé du chef américain Robert Tuohy, qui nous régale des lignes
claires et des mélodies gracieuses, toujours entremêlées de rythmes
entrainants, à la manière de Rossini. Si le chant est moins virtuose que
celui du maître italien, l’imbrication naturelle de la déclamation avec
la musique est un ravissement constant, parfaitement rendu par
l’excellent plateau vocal réuni.
Impeccable au niveau théâtral, Stefan Cifolelli (Zéphoris) déçoit
malheureusement dans les parties chantées, où son manque de puissance
est patent, surtout dans les ensembles. C’est d’autant plus regrettable
que le ténor belge a pour lui un timbre séduisant, sans parler du style,
toujours à propos. On lui préfère toutefois le Piféar de Valentin
Thill, beaucoup plus à l’aise techniquement. Mais la grande révélation
de la soirée est incarnée par l’irrésistible Moussol de Jean‑Kristof
Bouton, aussi puissant que précis dans ses phrasés gorgés d’intentions.
On aime aussi la délicieuse Néméa d’Armelle Khourdoïan, d’une souplesse
radieuse dans les vocalises, tout particulièrement l’air (annonciateur
de l’air des bijoux de Gounod) où Zephoris la couvre de cadeaux. On note
que ce rôle difficile a jadis été chanté par la jeune Natalie Dessay, à
l’Opéra de Liège, en 1990 (date de la dernière production de l’ouvrage
sur scène). Malgré quelques raideurs, Eleonora Deveze (Zélide) et Nabil
Suliman (Kadoor) font valoir leur beau timbre, tandis que le solide
Mikhael Piccone (Zizel) assure bien sa partie. On mentionnera encore la
prestation réussie du Chœur de l’Opéra de Toulon, bien préparé dans ses
nombreuses interventions, notamment pour l’articulation avec la fosse.
Prochain événement à ne pas manquer à Toulon pour les fêtes de fin d’année, la reprise très attendue de La Périchole d’Offenbach, qui vient de triompher à Paris sous les auspices de Laurent Pelly.
Plateau vocal de haute volée en vue avec Antoinette Dennefeld, Philippe
Talbot et Alexandre Duhamel dans les rôles principaux : immanquable !
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