Véronique Gens |
D’abord essentiellement visuel, le spectacle réglé par Lilo Baur (dont les plus anciens se souviennent de son travail sur Lakmé en 2014, déjà à l’Opéra-Comique) gagne peu à peu en profondeur après l’entracte : la Suissesse imagine un univers dépouillé de tout artifice, si ce n’est un immense arbre au centre de la scène, plusieurs fois revisité pour symboliser les états d’âme des protagonistes. Dans sa forme décharnée, l’arbre évoque la raideur et la sécheresse émotionnelle d’Armide, toute occupée à se mentir à elle-même par sa quête d’un impossible amour, tandis que la vitalité reprend ses droits dans les scènes païennes avec un choeur grimé comme autant de bourgeons virevoltants. A l’instar du contexte de lutte entre croisés et musulmans, Lilo Baur choisit d’évacuer le merveilleux pour faire de l’héroïne une femme qui souffre, la Haine n’étant dans ce parti-pris qu’une évocation de ses tourments intérieurs. Ce travail tout en sobriété repose en grande partie sur une direction d’acteur millimétrée, donnant une présence soutenue aux pantomimes des trois danseurs, de même que l’excellent choeur, très sollicité tout du long. Des soutiens décisifs pour accompagner Armide dans son apprentissage initiatique de l’acceptation de l’incertitude amoureuse et du refus des artifices extérieurs comme la magie, au profit d’un retour à l’état de nature et à la simplicité.
Ian Bostridge et Enguerrand de Hys |
Impressionnante dans l’un des rôles les plus marquants de l’ouvrage,
Anaïk Morel donne à sa Haine une jeunesse vocale rayonnante, surtout
dans l’aigu, mêlant à sa prestation des regards hallucinés, tandis
qu’Edwin Crossley-Mercer compose un solide Hidraot, aux graves mordants.
On aime aussi le duo épatant entre Philippe Estèphe et Enguerrand de
Hys, qui donne au IV une vérité saisissante par son engagement, rarement
atteinte. Toujours aussi à l’aise dans l’articulation, Florie
Valiquette s’impose dans ses différents rôles sur sa partenaire raffinée
Apolline Rai-Westphal Phénice, encore un peu trop tendre dans la
projection. Comme on pouvait s’y attendre, Christophe Rousset fait quant
à lui crépiter son orchestre dès l’ouverture, donnant un relief
impressionnant à sa battue, de la raideur volontaire des passages
verticaux d’allure martiale aux déflagrations nerveuses des cordes
déchainées par endroit. De quoi se régaler de l’instinct dramatique
direct et immédiat de Gluck, très affuté dans ces passages, et ce malgré
quelques longueurs ici et là (au I surtout).
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