lundi 7 novembre 2022

« Armide » de Gluck - Lilo Baur - Opéra Comique - 05/11/2022

Véronique Gens
Plus jamais donné en version scénique en France depuis 1913, l’Armide (1777) de Gluck fait son grand retour à l’Opéra-Comique avec un spectacle très réussi, vivement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation. Alors qu’aucun anniversaire ne concerne le chevalier Gluck cette année, les grandes maisons d’opéra semblent s’être données le mot pour le célébrer en grande pompe, tout particulièrement sa féconde et dernière période en France : outre ses plus célèbres ouvrages (Orfeo au Théâtre des Champs-Elysées et Iphigénie en Tauride à Rouen), on a ainsi pu avoir la chance d’entendre les rarissimes Iphigénie en Aulide (toujours au TCE), puis Echo et Narcisse (à Versailles). Place cette fois à la toute aussi peu jouée Armide, dont on se souvient des tentatives de Marc Minkowski pour la remettre au gout du jour, grâce à l’un de ses plus beaux disques en 1999, puis à l’occasion de concerts en 2016, à Paris et Bordeaux.  

D’abord essentiellement visuel, le spectacle réglé par Lilo Baur (dont les plus anciens se souviennent de son travail sur Lakmé en 2014, déjà à l’Opéra-Comique) gagne peu à peu en profondeur après l’entracte : la Suissesse imagine un univers dépouillé de tout artifice, si ce n’est un immense arbre au centre de la scène, plusieurs fois revisité pour symboliser les états d’âme des protagonistes. Dans sa forme décharnée, l’arbre évoque la raideur et la sécheresse émotionnelle d’Armide, toute occupée à se mentir à elle-même par sa quête d’un impossible amour, tandis que la vitalité reprend ses droits dans les scènes païennes avec un choeur grimé comme autant de bourgeons virevoltants. A l’instar du contexte de lutte entre croisés et musulmans, Lilo Baur choisit d’évacuer le merveilleux pour faire de l’héroïne une femme qui souffre, la Haine n’étant dans ce parti-pris qu’une évocation de ses tourments intérieurs. Ce travail tout en sobriété repose en grande partie sur une direction d’acteur millimétrée, donnant une présence soutenue aux pantomimes des trois danseurs, de même que l’excellent choeur, très sollicité tout du long. Des soutiens décisifs pour accompagner Armide dans son apprentissage initiatique de l’acceptation de l’incertitude amoureuse et du refus des artifices extérieurs comme la magie, au profit d’un retour à l’état de nature et à la simplicité.  

Ian Bostridge et Enguerrand de Hys
La réussite de la soirée doit aussi au plateau vocal réuni, très bien distribué jusqu’au moindre second rôle, sans parler du rôle-titre confié à une superlative Véronique Gens. Si le souvenir des représentations d’Alceste de Gluck, à Garnier en 2015, pouvait faire craindre une projection insuffisante, la soprano française évacue ces réserves en épousant d’emblée un rôle qui semble avoir été écrit pour elle : la tessiture centrale de sa voix est constamment sollicitée, avec quelques rares incursions dans les extrêmes, lui permettant de nous régaler de son timbre velouté et de son émission articulée avec souplesse, toujours au service du sens. Si on peut regretter un manque d’éclat et de noirceur lorsque Gens revêt trop timidement les atours de la magicienne au I, la tragédienne impressionne en dernière partie pour figurer la femme brisée face à son amant intraitable. Face à elle, on retrouve un autre nom bien connu du grand public en la personne de Ian Bostridge, qui nous régale de son art grâce à ses phrasés d’une éloquente noblesse. Malgré ces qualités, le ténor anglais ne peut toutefois faire oublier un timbre fatigué, quelques rudesses dans le suraigu arraché, ainsi qu’une difficulté à maitriser sa puissance dans les piani (surtout dans les duos avec Gens, déséquilibrés sur ce point). 

Impressionnante dans l’un des rôles les plus marquants de l’ouvrage, Anaïk Morel donne à sa Haine une jeunesse vocale rayonnante, surtout dans l’aigu, mêlant à sa prestation des regards hallucinés, tandis qu’Edwin Crossley-Mercer compose un solide Hidraot, aux graves mordants. On aime aussi le duo épatant entre Philippe Estèphe et Enguerrand de Hys, qui donne au IV une vérité saisissante par son engagement, rarement atteinte. Toujours aussi à l’aise dans l’articulation, Florie Valiquette s’impose dans ses différents rôles sur sa partenaire raffinée Apolline Rai-Westphal Phénice, encore un peu trop tendre dans la projection. Comme on pouvait s’y attendre, Christophe Rousset fait quant à lui crépiter son orchestre dès l’ouverture, donnant un relief impressionnant à sa battue, de la raideur volontaire des passages verticaux d’allure martiale aux déflagrations nerveuses des cordes déchainées par endroit. De quoi se régaler de l’instinct dramatique direct et immédiat de Gluck, très affuté dans ces passages, et ce malgré quelques longueurs ici et là (au I surtout).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire