Plus célèbre roman de son auteur, Les Enfants terribles ont été écrits d’une traite, en une semaine, par un Jean Cocteau alors en lutte contre son addiction à la cocaïne. Très bref, l’ouvrage happe le lecteur par son mélange de dialogues volontairement simples et rugueux, qui alternent avec un commentaire plus évocateur et mystérieux de l’action. Avec le film de Jean-Pierre Melville en 1950, le rôle du narrateur est confié à la voix de Jean Cocteau, là où le roman donne cette fonction à l’un des personnages, Gérard. En 1996, le compositeur minimaliste Philip Glass (né en 1937) reprend l’essentiel des choix opérés par le film, avec un narrateur extérieur à l’action proprement dite. Comme pour le roman, les événements s’enchainent sans temps morts, mais on peine toutefois à démêler la relation trouble (volontiers incestueuse) entre le frère et la sœur, de même que les conséquences des ressemblances physiques entre les personnages, sans parler des liens ambivalents d’attirance et de répulsion (expliquant notamment le double rôle Dargelos/Agathe). Dans ce tourbillon des émotions, le rôle passif de Gérard, amoureux de Paul dans le roman, semble ici bien sacrifié.
La mise en scène de Phia Ménard tente bien de souligner quelques sous-textes avec le recours à des poupées animées par le narrateur Jonathan Drillet (excellent tout du long), tout particulièrement l’évocation judicieuse de la brève relation lesbienne entre Elisabeth et Agathe. Quelques ajouts parlés semblent toutefois moins opportuns, tel que le bavard et poussif entretien télévisé de 1962 où « Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000 ». Il aurait été préférable d’insister davantage sur les vénéneuses ressemblances et attirances entre les personnages, afin de bien saisir les frustrations qui enflent peu à peu pour culminer lors de la scène finale tragique. L’idée de vieillir les personnages, qui évoluent ici dans une maison de retraite, n’est pas en soi gênante, mais on ne voit pas trop en quoi elle permet de mieux comprendre les enjeux en présence. Pire, l’usage abusif du plateau tournant n’aide pas à bien visualiser qui s’exprime (les interprètes chantant souvent dos à la scène), pénalisant tout du long la compréhension narrative.
On est peu convaincu, aussi, par les interprètes d’un niveau correct, sans plus. Ainsi du timbre peu séduisant de Mélanie Boisvert (Elisabeth), qui compense ce désagrément par une articulation précise. On lui préfère toutefois Ingrid Perruche dans son double rôle incarné avec un sens du théâtre toujours aussi engagé, cette fois sans excès. Si François Piolino (Gérard) a pour lui la déclamation la plus compréhensible, il perd son assurance dans certaines approximations du placement de voix, tandis qu’Olivier Naveau (Paul) assure bien sa partie, malgré un timbre un peu terne. L’exécution musicale, bien interprétée aux trois pianos, ne peut malheureusement cacher l’inspiration ronronnante de Philip Glass, qui peine à donner du relief aux différents tableaux au-delà de ses tics de langage familiers. Dommage.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire