Comme chaque année à la même période, la fête nationale monégasque permet l’organisation d’une production prestigieuse dans le cadre de la vaste salle des Princes (1800 places) du Grimaldi forum. Cet événement prend davantage de relief cette année avec les célébrations du centenaire de la mort d’Albert 1er de Monaco, qui fut à l’origine de la montée en puissance de l’Opéra de Monte-Carlo, avec la nomination de Raoul Gunsbourg en 1892. Une riche exposition organisée au Grimaldi forum rend ainsi hommage à ce directeur inamovible de l’institution (jusqu’en 1951 !), qui fut à l’origine de nombreuses créations contemporaines en son temps, défendant aussi bien Massenet, Saint-Saëns ou Ravel que les voisins véristes Mascagni et Puccini.
Cette année, l’Opéra de Monte-Carlo nous rappelle aussi qu’il fut à l’origine de la création scénique de La Damnation de Faust de Berlioz, en 1893, donnant ainsi ses lettres de noblesse à cette légende dramatique proche de l’oratorio, souvent chantée en version de concert. Berlioz s’inspira en effet du premier Faust de Goethe sans lui donner une continuité dramatique soutenue, s’intéressant autant au parcours initiatique du héros qu’aux réflexions plus philosophiques du récit. Si Berlioz retravaille les huit tableaux de la version originale de 1828 pour les enrichir de nouvelles scènes en 1847, il ne se départit pas de cet aspect parcellaire souvent déroutant, bien éloigné du livret plus efficace du Faust de Gounod.
C’est à l’expérimenté Jean-Louis Grinda, ancien directeur des Opéras de Reims, Liège et surtout Monte-Carlo (2007-2022), que revient la tâche difficile de cette adaptation scénique. Comme à son habitude, le Monégasque n’a pas son pareil pour faire vivre le vaste plateau d’un faste de couleurs richement illustré, autant par la variété des costumes que des éclairages. Avant cela, les heures sombres sont incarnées par un Faust en perdition sur la rampe devant l’orchestre, rapidement tenté par un Méphistophélès aux aguets. Attentif aux moindres péripéties, ce travail classique donne à voir de grandes scènes populaires parfaitement étagées, à la direction d’acteur réglée sans fioritures excessives. Malgré quelques maladresses (notamment de bien kitchs couronnes de fleur en vidéo), Grinda s’autorise quelques clins d’oeil humoristiques, telle que l’étoile de David apposée puis retirée du domicile de Marguerite par Méphistophélès, comme une répétition avant l’heure de ses futurs méfaits. On aime aussi la capacité de Grinda à déconstruire le mythe à vue, en une plongée vertigineuse du théâtre dans le théâtre, lorsque Méphistophélès donne à voir tout son pouvoir sur les choristes ou les éléments de décors, jouets de son imagination délirante. Enfin, la scène de descente aux enfers apporte son lot d’extraversion, bien épaulé par un trucage vidéo haletant.
Le plateau vocal est dominé par le Méphistophélès de grande classe de Nicolas Courjal, vivement applaudi au moment des saluts par une salle manifestement ravie de sa prestation. Le natif de Rennes prouve une fois encore toutes ses affinités avec ce rôle qu’il connait sur le bout des doigts pour l’avoir chanté souvent, faisant valoir des qualités interprétatives saisissantes d’intelligence et une diction toujours aussi pénétrante. La tessiture du rôle évite à Courjal de recourir à un vibrato trop prononcé, ce qui est évidemment louable. A ses côtés, on attendait beaucoup de Pene Pati, peut-être trop, après son récent triomphe parisien dans Roméo et Juliette de Gounod. Le ténor samoan pèche cette fois dans les passages introspectifs de la première partie, certes parfaitement articulés, mais qui souffrent de son insuffisante maitrise de la langue française, à même de l’aider à incarner les tourments de Faust au niveau dramatique. On note aussi une propension irrésistible à rayonner lorsque la voix est en pleine puissance, mais infiniment plus neutre dans le médium, terne en comparaison. Aude Extrémo souffle aussi le chaud et le froid dans sa prestation, n’évitant pas quelques faussetés dues à un positionnement de voix délicat dans les accélérations. Fort heureusement, la chanteuse française nous régale de son timbre chaud et de ses graves corsés lorsque la voix est bien placée, faisant ainsi oublier ces quelques désagréments.
Si le choeur de l’Opéra de Monte-Carlo affiche une bonne forme, on est plus déçu en revanche par la direction routinière et pâteuse de Kazuki Yamada, qui peine à donner du relief à l’ensemble. Son geste legato avance solidement, sans se poser de questions, mais on est à mille lieux de la direction imaginative que l’on est en droit d’attendre dans ce répertoire frémissant. Dommage.
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