Rarement donné de nos jours, l’opéra-féérie Le Voyage dans la lune (1875) fait un retour inattendu sur scène entre la production du Palazzetto Bru Zane donnée l’an passé (préservée au disque après une vaste tournée en France, notamment à Marseille) et la présente production montée pendant le troisième confinement devant une salle vide, mais heureusement captée pour la télévision. On se réjouit du retour de cette production de toute beauté devant une salle comble, tant la mise en scène confiée aux bons soins de Laurent Pelly se montre toujours aussi inspirée par les grandes machineries d’Offenbach, à l’instar du Roi Carotte (récemment repris à Lille en 2018, puis Lyon en 2019).
Après la défaite de 1870, Offenbach retrouve le succès en montant des spectacles aux moyens considérables, entre magnificence des décors et costumes, sans parler de vrais animaux sur scène. Musicalement, son inspiration se régale de la succession de tableaux différenciés, tout en moquant la suffisance royale, l’arrivisme de Cosmos, l’ignorance des savants. L’opposition entre les rythmiques péremptoires du Roi Vlan et les ambiances plus rêveuses de son fils Caprice trouve en Alexandra Cravero une cheffe toujours attentive aux moindres inflexions musicales, engageant son orchestre des Frivolités Parisiennes en un festival de couleurs admirablement étagées, d’une nervosité fiévreuse tout du long. Après l’entracte, les musiques lunaires font place à davantage d’étrangetés dans la palette sonore, même si on reconnait quelques influences orientalistes, notamment pour accompagner le cortège du Roi Cosmos.
La surprise vient de l’adaptation proposée, qui fait le choix de réduire fortement la durée de l’ouvrage (qui passe de six à deux heures), en élaguant principalement parmi les nombreux dialogues parlés. A l’inverse de la version proposée par le Palazzetto Bru Zane, la scène du marché aux esclaves sur la lune et le rôle du Prince « qui passe par là » sont supprimés, tandis que le personnage de Caprice est confié à un ténor. Ces choix sont dictés par la lecture théâtrale réalisée par Laurent Pelly pour la troupe de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique, qui privilégie la vitalité de ses jeunes interprètes, tous âgés de 8 à 25 ans (en dehors du rôle de Vlan confié à l’expérimenté Franck Leguérinel). Cet apport est marquant concernant le choeur, très sollicité tout du long, qui permet de gagner en grâce ce que l’on perd en caractère et en impact, du fait d’une projection parfois modeste.
Ancien de la Maîtrise qu’il a quitté en 2021, Arthur Roussel se voit confié le rôle redoutable de Caprice, d’évidence trop lourd pour lui. Manifestement perclus par le trac, entre oubli du texte en première partie et intonation hésitante, le ténor peine à passer la rampe, y compris après l’entracte. Seul son beau timbre laisse entrevoir quelques rares rayons de soleil, tandis que sa présence scénique montre un artiste plus sûr de lui dans les réparties parlées. La plus belle prestation vocale de la soirée revient à la rayonnante Fantasia de Ludmilla Bouakkaz, qui fait valoir autant sa musicalité que son agilité sur toute la tessiture, sans parler de son instinct dramatique d’une finesse de ton réjouissante. A peine pourra-t-on lui reprocher un instrument qui manque de chair par endroit, du fait d’une émission insuffisamment poitrinée. A ses côtés, outre le superlatif Vlan de Franck Leguérinel, toujours aussi impressionnant de gouaille, Mateo Vincent-Denoble (Microscope) s’impose dans la vérité théâtrale, tandis que Violette Clapeyron (Flamma) se distingue par son brio vocal, en son unique air (dans la version plus virtuose réécrite en 1876). Trop pâles au niveau comique, Enzo Bishop (Le roi Cosmos) et Micha Calvez-Richer (Cactus) doivent encore gagner en confiance pour la suite des représentations, afin de convaincre pleinement.
La mise en scène imaginée par Laurent Pelly impressionne par sa pertinence, opposant la légèreté humaine, cernée de ses coupables déchets plastiques au I, à la froideur frigide lunaire, d’un blanc immaculé. Les costumes délicieusement farfelus de la société lunaire rappellent les noms de constellation de ses personnages, en un ballet élégant et virevoltant. C’est une fois encore dans la direction d’acteurs que Pelly montre une attention de tous les instants, donnant aux masses une consistance théâtrale soutenue, entre terriens terrorisés par un Roi bourru et Sélénites perchés. L’élégance toute graphique des rares éléments de décors donne à voir des tableaux d’une simplicité redoutable d’efficacité, mis en relief par les mouvements chorégraphiés du choeur et la beauté fantasque des costumes. Un spectacle poétique et attachant, malgré les limites vocales évoquées, à savourer jusqu’au 3 février à Paris, avant les reprises prévues à Athènes, en juillet prochain.
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