Remercions l’initiative de l’Orchestre Philharmonique de Radio
France, en partenariat avec le Palazzetto Bru Zane et France Musique, de
mettre en avant la figure de la compositrice et pédagogue française Nadia Boulanger (1887-1979)
en un cycle de cinq concerts indépendants. En dehors de sa propre
musique et de celle de sa soeur Lili (disparue prématurément à seulement
24 ans), les programmes rendent ainsi hommage à son professeur et ami
Gabriel Fauré, ainsi qu’aux nombreux élèves venus pour la plupart des
Etats-Unis. Nadia Boulanger fut en effet professeur au Conservatoire américain de Fontainebleau dès sa création en 1921, avant d'en devenir directrice de 1948 jusqu'à sa mort, influençant des générations d'artistes, dont Walter Piston (1894-1976), Eliott Carter (1908-2012) ou Aaron Copland (1900-1990).
On retrouve précisément la musique de Piston en ouverture de concert : son langage néo-classique est pratiquement inconnu en France, et ce malgré huit symphonies composées entre 1937 et 1965. Son bref Prélude symphonique (1966), d’une durée de moins de huit minutes environ, donne un aperçu de son style qui embrasse une multiplicité d’influences, de la transparence savamment étagée d’un Hindemith, aux parties piquantes des bois dignes de Bartók, sans parler de quelques passages sinueux aux cordes qui évoquent Chostakovitch. Le geste toujours aérien de Mikko Franck distille mystère et envoûtement, sans jamais alourdir le pathos, concluant la pièce sans effets appuyés, en un climat de désolation.
Le changement n’en est que plus radical avec le langage atonal du Concerto pour flûte (2008) d’Elliott Carter, écrit à la toute fin de sa vie, à 100 ans (!) tout juste. Toujours bon pied, bon oeil, le compositeur américain se joue des interventions furtives et elliptiques qui parcourent l’orchestre d’un instrument à l’autre, sans jamais chercher à séduire. D’abord très abrupte dans les verticalités, la flûte d’Emmanuel Pahud s’apaise en deuxième partie pour gagner en musicalité, même si l’ensemble du discours reste atonal. Le chaos initial fait place à un certain apaisement, à la limite du renoncement, avant un crescendo final virevoltant. En bis, Pahud ravit le public en interprétant Syrinx (1913) de Debussy, en une douceur aussi langoureuse que gourmande.
Après les dissonances de Carter, l’effet de contraste saisit avec le classicisme apollinien de Gabriel Fauré, qui donne la primauté à la mélodie radieuse, d’une simplicité désarmante de naturel. Sa Fantaisie pour flûte et orchestre (1898) comprend deux brefs morceaux différenciés, plus intimiste en première partie (avec des graves peu sollicités) et plus enjoué ensuite, en une orchestration aérée du plus bel effet.
Après l’entracte, la scène fait place à deux interprètes en état de grâce, qui rivalisent de joutes bondissantes et lumineuses pour mettre en valeur les Trois pièces pour violoncelle et piano (1914) de Nadia Boulanger. Le climat d’intériorité et de sérénité fait d’abord la part belle au violoncelle souple et lyrique de Renaud Guieu, avant que le piano véloce de Catherine Cournot ne prenne le dessus dans la dernière partie conclusive, au rythme endiablé. On reconnait dans le public plusieurs instrumentistes du Philharmonique venus écouter leurs collègues dans cette rare pièce évocatrice, que l’on aimerait voir durer plus longtemps encore.
Il est temps de faire place à l’orchestre au complet, convoqué pour
s’opposer aux forces telluriques de l’orgue, présent dans la Première Symphonie (1924) de Copland.
Composée à l’issue de ses études en France, cet ouvrage montre
l’ambition de son auteur, qui se joue de toutes les sonorités offertes à
l’orgue : volutes morbides du Prélude, interventions piquantes du
Scherzo, accords plaqués de l’impressionnant Finale. Cet ouvrage aussi
étonnant qu’imprévisible semble tâtonner au début, avant d’embraser
l’orchestre par l’alternance de piani / forte, sans parler de
l’enchevêtrement des plans sonores, volontiers brutal et sauvage par
endroit. Bien qu’un peu timide à l’orgue au début, Lucile Dollat se
chauffe peu à peu pour épouser pleinement la vision apaisée de Mikko
Franck, aux tempi mesurés. On peut toutefois regretter que le chef
finlandais préfère une lecture analytique et sans doute trop « propre »,
en lissant quelques fulgurances au profit d’une interprétation sans
faute de goût. De quoi procurer un plaisir plus intellectuel que
physique, en somme.
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