La pauvreté qui ronge les interprètes de Peter Grimes est en effet indissociable de la compréhension de l’ouvrage, de même que l’esprit de clocher étriqué, propre à n’importe quelle micro-société auto-centrée, telle qu’un petit village de pêcheurs. D’emblée, la scénographie insiste sur les conditions de vie miséreuses (boutiques fermées et baraquements de fortune) : c’est principalement la direction d’acteur, très dynamique, qui soutient l’action tout du long, à l’instar de la scène du bar où s’affrontent tous les ego réunis, alors que la tempête gronde au dehors.
Après l’entracte, alors que les adultes profitent de la nuit pour tomber les masques de l’hypocrisie, le regard social de Warner se tourne vers la jeunesse désoeuvrée, occupée à tromper l’ennui en entraînant le village dans une vendetta déchainée contre une poupée grandeur nature, à l’effigie de Grimes. Tout en alternant admirablement ce type de scènes avec celles plus dépouillées qui figurent l’isolement progressif de Grimes, Warner suggère peu à peu la folie du rôle-titre dès le début, avec le fantôme du moussaillon mort qui rôde dans les airs autour de lui.
Autour de ce travail réaliste et très cohérent, le plateau vocal réuni se montre de bien belle tenue, dominé par le Peter Grimes de grande classe d’Allan Clayton, d’une expressivité poisseuse dans ses plaintes solitaires, mais volontiers plus solaire dans ses réparties poétiques et énigmatiques, à même de monter le groupe contre lui. A ses côtés, Maria Bengstsson (Ellen Orford) gagnerait sans doute à davantage de projection, mais emporte l’adhésion par son chant admirable d’homogénéité sur toute la tessiture, toujours au service de la compréhension du texte. On ne saurait trouver meilleur maître en la matière en la personne de Simon Keenlyside (Balstrode), toujours aussi impressionnant de justesse dramatique avec sa technique sans faille et un timbre encore séduisant. Outre les lumineuses et espiègles nièces interprétées par Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torres, on aime la truculence généreuse de Rosie Aldridge (Mrs Sedley), là où Catherine Wyn-Rogers (Auntie) manque de gouaille en comparaison. Tous les autres seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, particulièrement le très en voix révérend de James Gilchrist. Très sollicité, le choeur de l’Opéra national de Paris relève le défi sur la durée, autant en termes d’impact vocal dans les nombreuses parties homophones, que de brio rythmique.
On est plus ambivalent, en revanche, concernant la direction d’Alexander Soddy, qui souffle le chaud et le froid en ralentissant les tempi à l’excès dans certains passages très déliés, à la limite du maniérisme. Son geste legato manque de relief en première partie, mais trouve une expressivité plus naturelle après l’entracte, lorsqu’il fouille la partition pour en extraire les traits les plus morbides. Au moment des saluts, le Britannique est ostensiblement applaudi par l’Orchestre national de l’Opéra de Paris, qui montre là son goût pour les lectures volontiers analytiques, une nouvelle fois. Malgré ces réserves, il faut courir applaudir cette production pour (re)découvrir la musique envoûtante de Britten, de même que son livret original et poignant.
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