Composés sur des livrets en français, les cinq derniers opéras de
Rossini restent encore en grande partie méconnus du grand public, à
l’exception du tout dernier, Guillaume Tell (1829), régulièrement accueilli sur les plus grandes scènes, comme à Lyon voilà quatre ans, déjà dans une production confiée à Tobias Kratzer. Contrairement à Otello, Moïse et Pharaon
(1827) est l’adaptation d’un ouvrage précédemment écrit pour Naples,
que les Parisiens ne connaissaient pas. Avec un livret réécrit et de
nouvelles pages composées pour l’occasion, l’avant‑dernier opéra de
Rossini s’est imposé comme l’une des pépites les plus attendues par les
connaisseurs, tant il annonce Verdi par ses spectaculaires et majestueux
chœurs, évoquant Nabucco, sans parler de ses nombreux ensembles savamment distillés tout du long des près de 4 heures de spectacle.
Si le premier acte se montre un rien inégal sous la baguette déchaînée
de Daniele Rustioni, qui ne s’embarrasse pas de subtilités dans les
verticalités volontiers péremptoires, la suite prend davantage de
profondeur avec les états d’âme d’Aménophis et de sa mère, d’une
intensité expressive digne des plus grandes pages du Cygne de Pesaro.
Ces passages plus apaisés bénéficient de la baguette sensible de
Rustioni, qui fait valoir plusieurs pianissimi admirablement
soutenus par les interprètes. En dehors de la direction tour à tour
féline et extravertie de Rustioni, le plateau vocal constitue le grand
atout de cette production, d’une homogénéité de très bon niveau jusque
dans les moindres seconds rôles.
La production imaginée par Tobias Kratzer cherche d’emblée à muscler l’intrigue en transposant l’action de nos jours, transformant la cour du Pharaon en une arène politique froide et peu sensible au sort du peuple juif grimé en migrants. Dans ce cadre, les catastrophes climatiques montrées sur grand écran font office de châtiment divin, tandis que sur la scène, une fontaine publique change son eau en sang : autant de signes annonciateurs du miracle conclusif attendu, où les Juifs échappent à leurs poursuivants laminés par les eaux. En fin de compte, cette transposition reste assez fidèle à l’ouvrage, tout en incorporant des éléments visuels bien incorporés au propos, tel que le ballet, aussi dynamique qu’haletant pour ses interprètes, très sollicités pour l’occasion. De quoi animer l’action, rehaussée d’une réflexion sociale sur l’égoïsme des puissants par rapport au sort des migrants : une idée bienvenue, mais malheureusement trop simpliste dans son développement, souvent redondant.
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