Créée en 1995 et plusieurs fois reprise (notamment en 2016 avec Pretty Yende dans le rôle-titre), la production de Lucia di Lammermoor (1835) imaginée par Andrei Serban (né en 1943) revient à Paris, sous les applaudissements nourris du public. Le travail du metteur en scène roumain s’appuie sur un décor unique pendant toute la représentation, qui plonge le spectateur dans l’enfermement mental de l’héroïne, étouffée par une société masculine au culte viriliste : c’est là le point départ de la réflexion de Serban, qui lui permet de mettre en avant un décor en demi-cercle (admirable en terme de projection pour le chœur, même si ce dernier n’évite pas les décalages avec la battue très vive du chef dans les parties verticales), à mi-chemin entre univers carcéral et asile de fous.
C’est là une évocation des expérimentations du neurologue Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière, à la fin du XIXème siècle, et plus généralement des influences néfastes du patriarcat. Trop statique dans les deux premiers actes, la mise en scène s’anime en fin de spectacle en renouvelant son décor par l’enchevêtrement de plusieurs lignes (cordes et passerelles métalliques), qui évoquent les trajectoires de vie brisées des personnes subissant l’enfermement. On aime aussi l’irruption du sang sur la robe d’un blanc immaculé de Lucia, au moment de la scène de la folie, qui contraste avec les scènes précédentes, d’une grande sobriété par leur aspect général aux couleurs froides.
Mattia Olivieri |
Le plateau vocal est dominé par l’Enrico de grande classe de Mattia Olivieri (né en 1984),
qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris, en spécialiste déjà reconnu du
répertoire belcantiste. La beauté et la fraîcheur de son timbre trouvent
un épanouissement dans sa capacité à sculpter chaque mot au service du
sens, le tout parfaitement articulé et projeté. Ses qualités sont
surtout audibles dans les récitatifs et ariosos, là où les parties
chantées plus ornées montrent encore quelques raideurs, en comparaison.
A ses côtés, Brenda Rae (Lucia) se montre plus inégale, du fait d’une émission un peu serrée qui n’évite pas le recours au vibrato dans le suraigu ou les pianissimi. Trop métallique, le médium manque de puissance, surtout en comparaison de l’émission en pleine voix, plus assurée. Elle assure toutefois l’essentiel dans la scène de folie, du fait d’une composition théâtrale finalement touchante. On lui préfère le chant plus naturel et solaire de Javier Camarena (Edgardo), qui regorge de couleurs, malgré une émission en rien trop nasale en fin de spectacle. On aime aussi le chant incarné d’Adam Palka (Raimondo), qui ne ménage pas son investissement pour donner de la hauteur de vue à ses incantations, entre aisance sur toute la tessiture et facilité de projection. Tous les seconds rôles emportent l’adhésion, à l’exception d’un Eric Huchet (Normanno) inhabituellement emprunté, surtout en début de soirée.
L’un des grands atouts du spectacle est incontestablement la prestation du chef Aziz Shokhakimov (né en 1988), actuel directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui parvient à donner de l’élan au mélodrame en fouettant les parties verticales de sa fougue, tout en gardant une transparence par l’allègement de la pâte orchestrale. Il parvient aussi à faire ressortir plusieurs détails de l’orchestration dans les parties plus apaisées, qui font valoir la qualité des timbres de l’Orchestre de l’Opéra de national de Paris, particulièrement au niveau des bois.
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