La reprise de la production de L’Affaire Makropoulos (1926) de Leos Janáček, imaginée par Krzysztof Warlikowski en 2007 et reprise plusieurs fois ensuite, est un événement à ne pas manquer, tant son travail n’a pas pris une ride, que ce soit dans la progression dramatique ou l’expression visuelle, d’une beauté plastique réglée dans le moindre détail.
Initiée au début des années 2000, la carrière lyrique de Krzysztof Warlikowski prit un envol considérable avec ses premières productions parisiennes, dont Iphigénie en Tauride de Gluck en 2006, puis L’Affaire Makropoulos,
l’année suivante. Le parfum de scandale entourant la plupart des mises
en scène proposées par le Polonais a souvent été propagé par
l’incompréhension suscité par sa fascination pour toilettes et lavabos, à
laquelle le présent spectacle ne fait pas exception. C’est pourtant ici
un ajout qui trouve tout son sens, tant Warlikowski oppose le monde
léché de la représentation sociale – ici incarné par les lignes épurées
d’un superbe cinéma des années 1950 – aux réalités plus sordides de la
vie privée : Emilia Marty, alias Elena Makropoulos, n’est-elle pas cette
femme sans foi, ni loi, prête à tout, y compris offrir son corps au
tout-venant, pour récupérer sa recette d’immortalité ?
Tout au long du spectacle, des images filmées associent l’héroïne aux grandes stars du cinéma d’antan, dont Marilyn Monroe : c’est précisément avec sa robe soulevée par l’aération qu’Emilia Marty apparaît, soulignant autant son charme irrépressible que sa fragilité psychologique, ainsi suggérée dès le début de l’action. En experte de la dissimulation, l’héroïne se joue de tous les looks, plus glamours les uns que les autres, démontrant ainsi sa capacité à endosser tous les rôles, à l’instar d’une star de cinéma. L’exploration de son caractère, fouillé comme jamais, permet de se jouer du statisme de l’action (particulièrement présent ici), de même que la variété visuelle des différentes scènes, aux changements d’atmosphère irréels et fascinants, magnifiés par des éclairages de toute beauté (notamment lorsque la scène du cinéma se soulève pour dévoiler sa structure métallique). On aime aussi la capacité de Warlikowski à faire surgir l’émotion là où on ne l’attend pas : les deux faux duos d’amour entre Marty et son fils Albert Gregor (qui ignore tout de ses origines) sont ainsi un sommet d’intensité expressive, particulièrement quand les interprètes s’effondrent de chaque côté de la porte qui les sépare, soulignant autant leur proximité que leur impossible liaison.
C’est peu dire qu’on retrouve en Karita Mattila une
chanteuse au tempérament bouillant, à même de faire vivre son personnage
d’une folle aisance, comme jadis Angela Denoke sur le même plateau. Si
la Finlandaise n’a plus l’âge du rôle, ce qui s’entend aussi au niveau
du timbre fatigué, elle continue à imposer cette présence scénique à
nulle autre pareil, d’une sincérité émouvante jusque dans les saluts, où
sa complicité avec orchestre et public est évidente. Malgré une
projection parfois limitée dans les dialogues, Mattila reste une
technicienne hors pair, qui connait l’état et les limites de sa voix,
pour donner le maximum de ses moyens, en toute circonstance. Face à
cette grande artiste, toujours aussi émouvante, Pavel Černoch
(Albert Gregor) s’impose à force de clarté d’articulation et de brio.
Mais on aime peut-être plus encore les seconds rôles truculents,
notamment le pénétrant Kolenaty de Károly Szemerédy ou l’irrésistible vieillard libidineux de Peter Bronder. De quoi donner une vitalité théâtrale particulièrement soutenue autour de l’héroïne.
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