dimanche 15 octobre 2023

« Béatrice et Bénédict » d'Hector Berlioz - Pierre‑Emmanuel Rousseau - Angers Nantes Opéra - Théâtre Graslin à Nantes - 13/10/2023

 

Tout dernier ouvrage lyrique de Berlioz, Béatrice et Bénédict (1862) reste peu monté et méconnu, du fait d’un livret indigent qui réduit à peau de chagrin la plupart des péripéties de la comédie Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, dont il est tiré. Egalement auteur du livret, Berlioz ne retient que le marivaudage entre les deux personnages principaux, dont l’orgueil démesuré les empêche de s’avouer l’inéluctable, leur amour. A partir de cette trame très mince, le compositeur tisse pourtant une partition délicieuse d’invention mélodique et d’une finesse d’orchestration en partie tournée vers le folklore sicilien (où se situe l’action), qui exclut les emphases spectaculaires propres à d’autres ouvrages.

Dès l’Ouverture, la facétie de Berlioz s’exprime à travers les bois narquois, ici particulièrement mis en relief par la direction haute en couleurs de Sascha Goetzel, malgré les cordes un rien trop acide de l’Orchestre national des Pays de la Loire. Pour autant, l’énergie du chef autrichien sait galvaniser ses troupes pour en tirer le meilleur, prouvant une fois encore toute l’affinité de la formation avec la musique de Berlioz (voir le récent concert consacré aux Nuits d’été au Festival de La Chaise‑Dieu). Il est toutefois dommage que l’articulation avec le plateau laisse parfois à désirer, en raison surtout de tempi dantesques qui mettent à mal certains chanteurs – dont le pourtant expérimenté Philippe Talbot (Bénédict), à bout de souffle dans les passages rapides, ce qui pénalise sa puissance de projection.

Philippe Talbot et Marie-Adeline Henry

Il reste bien entendu l’art des phrasés et la diction inégalable pour le ténor français, mais on attendait mieux de lui dans ce rôle à sa mesure. Lionel Lhote se distingue quant à lui dans les réparties comiques dédiées au désopilant Somarone, caricature du mauvais chef de chœur, même si ses intonations trop sonores sonnent parfois outrées. Si Marc Scoffoni (Claudio) et Frédéric Caton (Don Pedro) assurent bien leur partie, c’est davantage les femmes qui se distinguent. Malgré un air d’entrée où elle a trop souvent recours au vibrato dans le suraigu, Olivia Doray compose une touchante Héro, à la ligne de chant souple et naturelle dans son duo (sommet de la partition qui semble suspendre le temps) avec la solide Marie Lenormand (Ursule), toujours très investie dramatiquement. Marie‑Adeline Henry (Béatrice) se montre un rien inégale en comparaison, faisant valoir son timbre superbe dans les graves, à même de faire oublier quelques passages de registre parfois chaotiques, surtout vers l’aigu.

Si le chœur apparaît lui aussi dépassé par les vifs tempi du chef, il préserve l’essentiel, bien aidé par la direction d’acteur dynamique et inventive de Pierre‑Emmanuel Rousseau. De quoi galvaniser l’ensemble des chanteurs, toujours affairés aux préparatifs du mariage entre Héro et Claudio, sur fond de danses façon madison. Les délicieux costumes années 1980, colorés et farfelus, nous plongent dans une mascarade mafieuse où les masques tombent peu à peu, repoussant toujours plus avant le happy end attendu. Si les textes modernisés, dont le gaullien et volontairement anachronique « Je vous ai compris !», ne peuvent faire oublier le peu d’épaisseur de l’intrigue, ils donnent toutefois une malice bienvenue, au ton toujours juste, s’insérant parfaitement dans l’écrin visuel de toute beauté du spectacle réglé par Pierre‑Emmanuel Rousseau. De quoi nous réconcilier avec ce péché de vieillesse de Berlioz, aussi rare que raffiné.

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