Parmi les événements lyriques du début de saison, la nouvelle production de La Cenerentola (1817) de Gioachino Rossini permet de retrouver au Théâtre des Champs-Elysées le metteur en scène italien Damiano Michieletto, après son controversé Jules César de Haendel, donné ici-même l’an passé. La sobriété est de mise au début du spectacle, où la transposition contemporaine s’épanouit dans le quotidien d’une cafétéria aussi triste que blafarde, mettant en valeur les costumes de mauvais goût des deux soeurs de Cendrillon. Michieletto joue à plein la carte de l’opposition sociale entre riches décérébrés et égoïstes d’un côté, face à la générosité du Prince et de sa future promise, de l’autre. Pour autant, la farce met un peu de temps à décoller, tant les caricatures tournent à vide, à force des répétitions des mêmes idées. Il faut attendre l’invitation au bal pour que le spectacle décolle enfin, avec la mise en avant du personnage d’Alidoro, grimé en une sorte d’envoyé divin : on comprend dès lors pourquoi il était littéralement descendu du ciel, en début de spectacle. Cette idée savoureuse permet de réintroduire une forme de magie, là où l’adaptation du conte par les librettistes de Rossini l’en avait privé, à l’instar de la fée absente de l’opéra. Tout du long, Alidoro manipule les uns et les autres pour donner davantage de cohérence à l’action, tout en naviguant entre touches humoristiques et délicatesse poétique.
Avec ce personnage, on pense parfois à une idée semblable développée par Stefan Herheim (à Lyon en 2017), introduisant un double de Rossini comme une sorte de Monsieur Loyal. Finalement très fidèle au livret, le travail de Michieletto s’accompagne d’une virtuosité visuelle toujours aussi inventive, de l’exploration surprenante de la scénographie dans les hauteurs aux éclairages variés (revisitant ainsi le même plateau au I et au III pour leur donner deux atmosphères complètement différentes).
La production est accueillie par des applaudissements enthousiastes, même si quelques huées viennent gâcher la fête au moment des saluts, ici ou là. L’exécution musicale fait davantage l’unanimité, tant il est vrai qu’on trouve en Thomas Hengelbrock un interprète de grande classe, tirant Rossini vers une élégance toute mozartienne, à force d’allègement des textures. L’exploration des détails de la partition permet de se délecter des sonorités sur instruments d’époque, malgré quelques verdeurs aux bois, en un sens des nuances et de la respiration toujours éminemment théâtrales dans les parties apaisées – en contraste avec les verticalités plus enflammées. Ce travail d’orfèvre est toujours très respectueux du plateau (y compris le superlatif Choeur Balthasar Neumann), qui n’a jamais à forcer la voix pour affronter la fosse.
On retrouve en Marina Viotti une Angelina de haute volée, à force de phrasés souples et harmonieux, sans parler de son intelligence au service du texte, toujours aussi stimulante. Si la chanteuse franco-suisse se saisit de toutes les difficultés techniques, elle peine toutefois à convaincre dans son premier air, faute d’un timbre plus harmonieux, au léger vibrato. On aimerait aussi l’entendre dans des rôles plus ardents, à même de faire valoir ses qualités théâtrales, comme celui que lui avait confié le Théâtre des Champs-Elysées en 2015 dans La Périchole d'Offenbach). A ses côtés, Levy Sekgapane (Don Ramiro) ravit par sa fraicheur de timbre, d’une jeunesse rayonnante et parfaitement en phase avec le rôle. Même si on note une timidité plus prononcée dans les dialogues, notamment des piani un peu pâle, le ténor sud-africain ravit par son brillant et son articulation, lorsque l’émission est en pleine voix. On aime aussi le Dandini d’Edward Nelson, à la technique sans faille sur toute la tessiture, sans parler de sa projection aisée. Les quelques raideurs dans l’interprétation devraient rapidement disparaitre, tant le rôle semble lui convenir comme un gant. Belle idée, aussi, de confier le rôle d’Alidoro au sonore Alexandros Stavrakakis, qui se régale de son rôle de maître de cérémonie avec un plaisir gourmand, imposant sa voix profonde et pénétrante à toute l’assistance. Les rôles comiques trouvent en Peter Kálmán (Don Magnifico) un interprète tout aussi truculent, aux graves mordants, bien épaulé par ses comparses délicieusement vénéneuses, Alice Rossi (Clorinda) et Justyna Ołów (Tisbe).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire