Manfred Honeck |
Depuis son inauguration en 2017, la Philharmonie de l’Elbe
(« Elbphilharmonie » ou « Elphi ») est devenu l’emblème de la ville de
Hambourg, en monument immédiatement identifiable sur la pointe du port.
On comprend pourquoi, tant est grand le choc visuel ressenti à la
découverte du bâtiment depuis la perspective de la Speicherstadt,
l’ancien quartier industriel magnifiquement restauré avec son immense
enfilade d’entrepôts en brique, tous bordés de canaux. Dans ce quartier
en pleine revitalisation, l’Elphi trône en majesté, offrant une vue
inoubliable sur l’étendue quasi infinie du port de Hambourg (le
troisième d’Europe après Rotterdam et Anvers). Le vaisseau aux allures
futuristes accueille deux salles de concert de respectivement 2 150 et
550 places, la plus grande répartissant le public tout autour de
l’orchestre, à l’instar des standards actuels pour ce type
d’équipements. Si l’extérieur éblouit, l’intérieur déçoit quelque peu,
avec son interminable ascension par les escalators et sa décoration
impersonnelle aux tons blanchâtres. Fort heureusement, l’Elphi assure
l’essentiel en offrant une acoustique d’une précision chirurgicale, à
même de faire ressortir les moindres subtilités orchestrales.
Depuis l’inauguration de cet équipement, l’Orchestre symphonique de la NDR a pris pour nouveau nom NDR Elbphilharmonie Orchester,
actant ainsi sa résidence dans les lieux : cet orchestre fondé en 1945 a
connu une renommée dans nos contrées sous le mandat de Günter Wand
(1912‑2002), qui s’est notamment illustré dans une intégrale de
référence des Symphonies de Bruckner, dans les années 1990. On retrouve donc cette formation dans l’un de ses répertoires de prédilection avec la Neuvième
(1896), le programme rappelant que cet ouvrage est interprété pour la
dix‑huitième fois en concert depuis le premier d’entre eux en 1960,
dirigé par Carl Schuricht.
Avant cela, le chef autrichien Manfred Honeck chauffe ses troupes en interprétant une courte pièce symphonique, Elysium
(2021) de Samy Moussa (né en 1984). D’emblée, le jeune compositeur
canadien impressionne par l’unisson puissant dans les graves, aux effets
de distorsion proches de ceux d’une platine vinyle mal réglée, avant
d’imposer des effets de masse, aussi spectaculaires qu’enveloppants.
L’uniformité tonale évoque les musiques de film actuelles, avec
plusieurs emprunts aux grands noms du passé, tels Richard Strauss (pour
l’utilisation des percussions), Aaron Copland (pour les appels clairs de
la trompette) ou Jean Sibelius (pour le dernier accord apollinien,
digne de son équivalent de la Septième Symphonie). La direction
haute en couleur de Manfred Honeck va dans le sens de l’œuvre, sans
chercher à faire ressortir une quelconque subtilité à cette avalanche
quasi-ininterrompue de décibels.
Honeck enchaîne immédiatement sur la Neuvième Symphonie de
Bruckner, en un début étonnamment doucereux : de courte durée, ce
prélude est suivi par une immense vague qui embrase tous les pupitres
d’une énergie roborative, impressionnante de mise en place millimétrée
dans les attaques. Il en sera ainsi toute la soirée, Honeck alternant
des verticalités sauvages et endiablées, avant de ralentir
ostensiblement les tempi dans les passages lyriques – ces derniers
donnés sans pathos, ni relief, mettent en avant des pupitres tous étagés
sur le même plan, en des notes bien déliées. Les bois, volontairement
plus anguleux, adoptent des saillies d’autant plus extraverties que le
tapis de cordes est allégé en contraste. Ce style alternant muscle et
mollesse brosse volontiers les intentions de Bruckner à rebrousse‑poil,
mais a au moins pour avantage de révéler des détails inattendus. Avec
cette lecture souvent déroutante (Trio lunaire et transitions parfois
maladroites), le Finale paraît plus réussi, notamment dans la violence
péremptoire de ses tutti, qui évoquent la fatalité de la mort, toute
proche pour le compositeur. Conscient de cet écueil, le pieux Bruckner
n’a‑t‑il pas dédié sa symphonie « au bon Dieu » ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire