Comme chaque année au printemps, le festival d’opéras de Lyon fait
dialoguer trois ouvrages sur une thématique originale, cette fois dédiée
au jeu de cartes, et plus généralement sur la fascination du public
pour ces coups du sort, capables de briser ou glorifier une destinée en
un rien de temps. Déjà mise en avant lors du festival Pouchkine en 2008,
puis 2010, La Dame de pique (1890) de Tchaïkovski fait son retour dans une nouvelle mise en scène confiée à Timofeï Kouliabine (né en 1984).
Disons-le tout net : il s’agit du spectacle le plus marquant vu depuis
le début de l’année, qui donne envie de découvrir plus avant le travail
de cet artiste russe, désormais installé en Europe de l’Ouest. En 2019,
la critique du conflit guerrier avec l’Ukraine, présente dans son
adaptation de Don Pasquale, a en effet conduit à l’annulation
immédiate du spectacle donné au Bolchoï : de quoi sonner le glas de ses
ambitions en Russie, qui avaient pourtant été récompensées dès 2014 par
un Masque d’or (l’équivalent de nos Molières).
Parmi les nombreuses trouvailles mises en avant, Kouliabine a la bonne idée de muscler le rôle du Prince, promis initialement à Lisa, pour lui prêter un amant : la scène des adieux entre Hermann et sa promise, ici transposée sur un quai de gare contemporain, voit le Prince quitter en parallèle son prétendant avec une pudeur touchante, notamment lorsqu’ils éludent un dernier baiser en public. Plus généralement, toutes les scènes secondaires chargées de détendre l’atmosphère du drame, souvent dévolues au chœur, trouvent ici une illustration scénique mieux intégrée à l’action, à même d’enrichir le livret écrit par Modeste Tchaïkovski, le plus proche des frères cadets du compositeur.
Le plateau vocal n’est pas moins impressionnant de classe internationale, jusque dans le moindre second rôle. Ainsi de l’Hermann déchirant de vérité théâtrale de Dmitry Golovnin, à la voix blanche articulée au service d’une parfaite prononciation, de même qu’une très investie Elena Guseva (Lisa), qui brule les planches à force de prises de risques, tout en faisant valoir un instrument puissamment incarné, d’une belle longueur de souffle. Le chant techniquement plus parfait d’Olga Syniakova (Polina, Milovzor) n’offre malheureusement pas les mêmes possibilités du fait de son rôle moins dramatique, à l’instar de celui de la parfaite Elena Zaremba (Comtesse). Les phrasés infinis de nuances de Konstantin Shushakov donnent une hauteur de vue bienvenue à son rôle princier, tandis que Pavel Yankovsky (Comte Tomsky, Zlatogor) montre un côté plus animal dans ses rugosités ravageuses dans les graves.
Après L’Enchanteresse en 2019, l’Opéra de Lyon poursuit donc avec bonheur l’exploration du legs lyrique de Tchaïkovski, qui souffre encore d’un déficit de notoriété par rapport à ses ballets ou symphonies.
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