dimanche 17 mars 2019

« Carmen » de Georges Bizet - Barrie Kosky - Opéra de Francfort - 15/03/2019


Créé à Francfort en 2016, puis reprise ensuite ici-même et à Londres, la production de Carmen imaginée par Barrie Kosky est de retour dans les deux villes cette année pour des représentations qui affichent déjà complet dans la Hesse: rien de surprenant à cela, tant le spectacle apparaît comme l’un des plus enthousiasmants que l’on aie pu voir ces derniers mois. Et pourtant, Kosky ne manquera pas de mécontenter les puristes par son choix de supprimer les dialogues au profit d’une voix off en français qui intervient pendant tout le spectacle en un ton rassurant, introduisant de manière insolite les spécificités physiques de la femme idéale ou décrivant les lieux de l’action à la manière de didascalies: on est d’abord surpris avant de s’habituer à cet ajout intéressant, à défaut d’être essentiel. L’idée maîtresse de Kosky consiste à placer le personnage de Don José au centre de l’action, lui faisant vivre une sorte de cauchemar éveillé où il semble subir les événements et les moqueries ironiques et décalées de ses comparses. Volontairement grotesques, de nombreuses scènes se dévoilent sous un regard inédit, bien éloigné du contexte ibérique traditionnel, hormis quelques clins d’œil dans les costumes et chorégraphies.

Autour de fil conducteur pertinent, l’actuel directeur du Komische Oper de Berlin réalise le tour de force de supprimer tout décor, imposant un unique gradin qui envahit tout l’espace: admirablement varié par les éclairages inventifs de Joachim Klein, ce dispositif audacieux avance et recule au gré des péripéties pour donner davantage de profondeur ou d’intimité aux différentes scènes. C’est surtout la direction d’acteur qui impressionne tout du long à force d’inventivité et de maîtrise, en s’attachant à caractériser finement ses personnages, de la frustration sexuelle des soldats rampant vers leurs proies, à la fragilité de Micaëla symbolisée par sa robe simple et ses pieds nus, ou bien sûr à l’ogre sexuel Carmen, dont les représentations visuelles semblent s’embrouiller dans l’esprit perturbé de Don José, passant du toréador flamboyant au gorille inaccessible, avant d’endosser une robe noire de mariée – comme un sinistre présage funeste? Malgré quelques réserves mineures, notamment des bruits de scène pendant les déplacements du chœur, le spectacle emporte l’adhésion à force d’attention aux détails, des splendides costumes qui revisitent l’Espagne dans son rigorisme puritain en noir et blanc aux chorégraphies endiablées qui convoquent autant la corrida que le flamenco.

La direction vivante de Leo Hussain est un autre temps fort de la soirée, tant le chef britannique adopte des tempi dantesques dans les passages vifs et dansants, pour mieux distinguer ensuite les raffinements inouïs dont regorge l’orchestration de Bizet. Son geste a pour avantage d’épouser la vision de Kosky, donnant au drame une lecture narrative des plus passionnantes. Les interprètes relèvent le défi de cette démultiplication des nuances, au premier rang desquels Zanda Svēde, dont la rondeur d’émission et les graves cuivrés lui permettent de composer une vibrante Carmen. On aurait seulement aimé davantage de puissance pour dire qu’elle «est» l’incarnation du rôle. A ses côtés, Evan LeRoy Johnson fait valoir des phrasés d’une noblesse touchante qui donne à son Don José une humanité déchirante tout au long de son calvaire. Seul l’aigu apparaît trop prudent pour convaincre totalement dans les scènes finales. De brio technique, Kihwan Sim (Escamillo) ne manque pas, imposant sa force de caractère et son émission d’une parfaite résonance. Très applaudie, Karen Vuong (Micaëla) donne une composition toute de sincérité, là aussi d’une belle maîtrise, hormis peut-être dans le médium. Comme il est d’usage à Francfort, les seconds rôles sont à un niveau superlatif, particulièrement les brillantes Sydney Mancasola (Frasquita) et Judita Nagyová (Mercédès), tout comme le chœur au français admirable de diction. Logiquement acclamé en fin de représentation, ce spectacle chaleureusement recommandé sera repris à Londres dès juin prochain, avec un autre plateau vocal: à ne pas manquer!

vendredi 15 mars 2019

« Le Monde de la lune » de Joseph Haydn - Marc Paquien - Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris - 13/03/2019


On se réjouit chaque année d’assister à la production lyrique organisée par le Conservatoire de Paris avec les élèves des disciplines vocales et instrumentales: de quoi découvrir plusieurs chanteurs à l’orée peut-être – et c’est tout le mal qu’on leur souhaite – d’une belle carrière. Quelques anciens ont ainsi pu tirer leur épingle du jeu, tels Mathias Vidal, Christophe Dumaux et Sébastien Droy, à l’affiche en 2001 ou plus récemment Enguerrand de Hys dans Mithridate en 2014. On prendra garde de ne pas confondre ce spectacle avec l’un de ceux organisés par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris – autre vivier à suivre, et ce d’autant plus que les répertoires des deux institutions se rejoignent logiquement en privilégiant les petites formes: en témoigne cette année la nouvelle production du Monde de la lune (1777), septième opéra italien de Haydn, que l’on se souvient avoir entendu à Bobigny en 2013 avec l’Atelier lyrique.

Marc Paquien succède cette fois à David Lescot en proposant une mise en scène qui repose avant tout sur la splendide scénographie d’Alain Lagarde, habilement revisitée par les éclairages lors du spectacle. La vidéo en arrière-scène permet de rappeler l’omniprésence de la lune pendant toute l’action, donnant des images poétiques et facétieuses bien éloignées des allusions érotiques dont l’ouvrage est truffé. Paquien préfère jouer la carte de l’illustration intemporelle, en incluant quelques extraits dus à Georges Méliès, tandis que les costumes farfelus de Lili Kendaka viennent compléter harmonieusement l’ensemble. Seule la direction d’acteurs montre parfois quelques maladresses (les mains agitées au moment du voyage sur la lune, par exemple), mais assure l’essentiel avec ses jeunes interprètes.

Le spectacle vaut surtout par la performance des solistes, d’un niveau globalement homogène et qui n’a pas à rougir de nombre de leurs aînés actuels et passés. On s’incline ainsi devant le Buonafede irrésistible d’Edwin Fardini, aux phrasés admirables d’intelligence et d’à-propos dramatique, le tout servi par une projection et une tessiture d’une belle ampleur. Riccardo Romeo (Ecclitico) compense au niveau théâtral une présence vocale qui manque de puissance en comparaison, et ce malgré d’indéniables qualités d’articulation: on retiendra surtout son tempérament dans les récitatifs, révélateur d’un caractère bien affirmé. Lise Nougier (Ernesto) est sans doute la plus à l’aise quant au chant, autant par la rondeur de l’émission que la splendeur de son timbre corsé. A ses côtés, Mariamielle Lamagat (Clarice) et Makeda Monnet (Flaminia) ne sont pas en reste avec une interprétation lumineuse au niveau vocal, mais malheureusement plus caricaturale au niveau théâtral. Brenda Poupard s’en tire mieux dans cet équilibre délicat, en composant une Lisetta toute de fraîcheur distanciée dans l’ironie, tandis que Kaëlig Boché campe un solide Cecco, dont on notera seulement un manque de substance dans les accélérations. La seule déception vocale vient des trois membres du chœur, beaucoup trop timides dans leurs différentes interventions.

C’est d’autant plus surprenant que le geste enflammé de Tito Ceccherini cherche à galvaniser l’ensemble des interprètes, ce à quoi il parvient à merveille à la tête d’un superlatif Orchestre du Conservatoire de Paris. Sa direction vive et joyeuse, si elle n’évite pas certaines raideurs, est attentive aux moindres détails savoureux de l’orchestration de Haydn: l’humour éclaire subtilement la partition en maints endroits, ce que la direction narrative et sans vibrato de Ceccherini met parfaitement en valeur tout au long de la soirée. On conseillera une fois encore vivement d’assister aux représentations de ces jeunes pousses, tout en prenant garde à l’horaire inhabituel de début de représentation (19 heures).

mardi 12 mars 2019

« Trois Contes » de Gérard Pesson - David Lescot - Opéra de Lille - 10/03/2019

La Princesse au petit pois d'Andersen
Présentée à l’Opéra de Lille en 2017, La Double Coquette de Dauvergne avait déjà permis d’apprécier tout le goût de Gérard Pesson (né en 1958) pour l’adaptation musicale. On le retrouve cette fois accompagné de l’excellent David Lescot (dont le travail dans La finta giardiniera de Mozart avait fait grand bruit ici-même en 2014) en un spectacle au titre trompeur qui incite à penser que les enfants en sont la cible. Il n’en est rien, tant les trois contes déconcertent dans un premier temps par l’hétérogénéité des sujets abordés et le sérieux manifeste du propos. Pour autant, l’idée de ce travail est bien de confronter notre regard avec les raccourcis et faux semblants propres à l’imaginaire et au merveilleux, tout autant qu’à notre capacité à nous illusionner pour échapper à la réalité.

Le spectacle débute avec l’adaptation de La Princesse au petit pois (1835) d’Andersen, revisitée en pas moins de six versions différentes qui dynamitent notre regard sur cette histoire si simple en apparence. A la manière de Bruno Bettelheim dans sa célèbre Psychanalyse des contes de fée (Laffont, 1976), David Lescot (né en 1971) fouille les moindres recoins du récit pour en extraire toute les significations possibles, interrogeant autant son rôle initiatique (la petite fille qui n’est pas une princesse doit pouvoir supporter l’inconfort matériel) que symbolique : avant de pouvoir prouver son statut par l’épreuve du petit pois, la princesse n’est-elle pas d’abord une étrangère dont on doit se méfier ? Lescot dynamite également les codes attendus de ce type de récit, y adjoignant une deuxième princesse qui vient retrouver les amoureux dans leur lit : un trio espiègle et inattendu, bien éloigné des versions moralisantes souvent à l’œuvre dans les contes.

Autour de ce jeu sur les apparences, David Lescot pousse le spectateur à s’interroger sur l’influence du jeu et de la mise en scène dans la compréhension du récit, afin de l’amener à affuter son regard critique face à ce qui lui est donné à voir et entendre. La mise en scène, élégante et épurée, donne à voir plusieurs jeux de miroir virtuoses, tandis que Gérard Pesson tisse un accompagnement ivre de couleurs et de sonorités variées, toujours attentif à la moindre inflexion dramatique. On est souvent proche de l’art d’un Britten dans la capacité à minorer le rôle des cordes pour faire valoir toutes les ressources de l’orchestre, en premier lieu vents et percussions : du grand art.

Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini
Changement radical d’atmosphère avec Le Manteau de Proust adapté du roman éponyme de Lorenza Foschini (née en 1949), édité en 2012 par Quai Voltaire. Le conte moque l’ignorance et la bêtise de la famille de Proust, incapable de saisir la sensibilité et surtout la valeur artistique de la correspondance de l’écrivain français. La musique se ralentit pour faire valoir une myriade d’ambiances assez sombres, toujours très raffinées dans l’écriture, tandis que la mise en scène passe astucieusement d’un lieu à l’autre au moyen de saynètes réjouissantes, dévoilées en un ballet hypnotique en avant-scène, à la manière d’un plateau tournant. Autant les qualités minimalistes et plastiques de l’ensemble, que la capacité à rapidement présenter de nouveaux tableaux, rappellent l’art d’un Joël Pommerat, un auteur lui aussi attiré par la noirceur des contes.

Le dernier conte, adapté du Diable dans le Beffroi (1839) d’Edgar Allan Poe, convainc beaucoup moins en comparaison, du fait d’une histoire plus simpliste : l’écrivain américain y moque l’étroitesse d’esprit et le conformisme d’une société puritaine entièrement tournée vers elle-même. L’arrivée d’un intrus, le Diable en personne, sonne comme le réveil de ces consciences endormies et passives. La mise en scène joue sur les personnages figés, délicieusement ridicules, tandis que Pesson se montre moins à l’aise, donnant quelque peu l’impression de tourner en rond dans son inspiration, et ce malgré l’impeccable narrateur incarné par le pince-sans-rire Jos Houben. Côté chant, on notera un plateau vocal admirable d’homogénéité, dominé par le chant radieux et bien projeté de Marc Mauillon. Malgré les réserves sur le dernier conte, les deux premiers d’entre eux devraient rapidement s’installer au répertoire comme des classiques du XXIème siècle : les reprises prévues à Rouen, Rennes et Nantes, coproducteurs du spectacle, seront ainsi vivement attendues.

lundi 11 mars 2019

« Oyayaye » d'Offenbach, « Les Deux Augures » de C. Terrasse et « Faust de Passementier » de Hervé - Théâtre de Saint-Omer - 09/03/2019


Le nom de Christophe Crapez rappelle immédiatement d’excellents souvenirs aux amateurs de la compagnie Les Brigands, pour laquelle il a assuré de nombreux rôles de premier plan à travers tout l’Hexagone: on pourra notamment citer Le Docteur Ox en 2003-2004 et Les Brigands en 2006-2007 d’Offenbach ou encore La Botte secrète de Claude Terrasse en 2011-2013. Depuis 2013, l’ancien élève de Mady Mesplé a choisi de voler de ses propres ailes en créant la compagnie Lyric & Co, dont la plupart des spectacles ont été créés dans le Pas-de-Calais autour d’un répertoire tourné vers l’opérette mais pas uniquement.

Cette année, la compagnie revient à son répertoire de prédilection en faisant halte pour deux dates au Théâtre de Saint-Omer, communément appelé Le Moulin à Café. La réouverture en début d’année de ce théâtre à l’italienne de poche (364 places!) a été l’un des événements salué bien au-delà de l’Audomarois. Fermé depuis les années 1970, ce théâtre niché dans l’ancienne mairie a enfin pu recevoir les travaux de modernisation que les édiles de la sous-préfecture du Pas-de-Calais ont longtemps dû repousser pour cause de financement incertain. Une attente qui n’a pas été vaine, tant le résultat est à la hauteur des ambitions: cet écrin intimiste construit en 1840 permet en effet une proximité avec les artistes tout à fait remarquable, sans parler de l’acoustique idéale pour la voix et l’orchestre. Rien d’étonnant, dès lors, à constater que la quasi-totalité des spectacles sont complets jusqu’à la fin juin pour cette salle qui vient harmonieusement compléter les autres disponibles dans l’agglomération (notamment le Centre culturel Balavoine à Arques).
Yves Vandenbussche, Alfred Bironien et
Christophe Crapez
C’est précisément le cas pour la seconde représentation consacrée à trois raretés exhumées du vaste répertoire de l’opérette. la compagnie Lyric & Co a en effet choisi de nous faire découvrir Oyayaye (1855), «anthropophagie musicale en un acte», l’une des toutes premières opérettes écrites par Offenbach en 1855 pour le Théâtre des Folies-Nouvelles, alors dirigé par son concurrent et ami Florimond Ronger, dit Hervé. Les aventures absurdes et farfelues de Racle-à-mort, aux prises avec une reine cannibale d’Océanie, permettent à Offenbach de démontrer sa capacité à écrire des airs endiablés sur des textes tous aussi inattendus les uns que les autres – au premier rang desquels une note de la blanchisseuse! Les trois interprètes – tous ténors – se saisissent avec maestria de ce récit rocambolesque, autour d’une mise en scène honnête mais qui manque d’idée marquante. Au piano, Nicolas Ducloux est attentif à l’articulation entre chant et musique, le tout en des tempi d’une belle vigueur.

C’est précisément ce qui déçoit dans l’ouvrage suivant, Les Deux Augures (1904) de Claude Terrasse, où l’accompagnement plus conséquent avec les forces de l’ensemble Flagogne laisse entendre quelques décalages avec Alfred Bironien et surtout Christophe Crapez. Il est vrai que l’ouvrage, plus moderne, n’épargne pas les musiciens, tandis que les interprètes souffrent de défauts audibles, autant l’élocution trop précipitée de Crapez que les aigus forcés de Bironien. On préfèrera bien davantage le délicieux Faust de Passementier de Hervé, parodie du déjà parodique Petit Faust (1869) du même compositeur. Une double mise en abyme savoureuse où toute l’équipe vocale réunie s’adjoint enfin une voix féminine en la personne de Sevan Manoukian: la soprano avait auparavant assuré le rôle de «Monsieur Loyal» lors des intermèdes, présentant les ouvrages et interprétant plusieurs mélodies. Hormis le tout premier air d’Offenbach raté, entre diction incompréhensible et problèmes de justesse, Sevan Manoukian se reprend ensuite pour faire valoir le velouté de son timbre et une belle aisance scénique. De même, Alfred Bironien se montre plus à l’aise dans la dernière opérette, tandis que la mise en scène colle bien à l’action, plus développée, autour d’une scénographie variée et bien mise en valeur par les éclairages.

lundi 4 mars 2019

Concert de l'Orchestre philharmonique de Radio France - Krzysztof Urbanski - Auditorium de la Maison de la Radio à Paris - 02/03/2019

Joshua Bell
Le poids des années serait-il bénéfique à Joshua Bell (né en 1967)? Le cas du violoniste américain divise depuis plusieurs années, faisant l’objet d’un soutien du public (en témoigne la salle comble samedi soir à la Maison de la radio) tout en étant boudé par de nombreux critiques pour son sentimentalisme et ses choix artistiques peu aventureux, bien éloigné en cela de ses deux grands rivaux Sergey Khachatryan et Gil Shaham. On oublie pourtant qu’à côté de son activité de soliste, Bell poursuit une carrière régulière de chambriste, notamment au festival de Verbier chaque année ou par exemple l’an passé à la Philharmonie dans un programme dédié à Schubert et Strauss, avec le pianiste Sam Haywood.

Quoi qu’il en soit, on se réjouit que son interprétation du Concerto pour violon de Dvorák dynamite ces mauvais a priori, tant l’Américain semble galvanisé par la direction tout feu tout flamme de Krzysztof Urbanski, découvert ici même en 2015. A seulement 36 ans, toujours aussi démonstratif dans sa gestuelle, le chef polonais reste attaché à marquer les attaques pour répondre fermement au soliste dans le dialogue orchestral, tout en se montrant plus mesuré dans le soutien, laissant la part belle au soliste. Son énergie semble donner à Bell un élan dramatique constant, parfaitement rendu au niveau technique, tandis que l’archet n’en oublie jamais l’optique narrative, essentielle dans ce concerto d’essence rhapsodique (dans les deux premiers mouvements surtout). Proche de celui de Brahms, composé un an plus tôt en 1878, ce concerto fait entendre un Dvorák plus volontiers porté vers l’ivresse mélodique dans le dernier mouvement entêtant, là aussi bien rendu par les interprètes. Vivement applaudi par le public, Joshua Bell repart sans offrir de bis, mais n’en oublie pas de rester jusqu’à l’issue du concert afin d’offrir une séance de dédicace.

En guise d’introduction au concert, un inattendu et méconnu Quatuor pour clarinette, cor, violoncelle et caisse claire de Martinů était offert à la curiosité générale: le compositeur tchèque a tant et tant composé qu’il est en effet difficile de s’y retrouver dans son immense production. Ecrite en 1924 à Paris, cette œuvre de jeunesse surprend d’emblée par son assemblage d’instruments aux sonorités disparates, tout en montrant l’influence du Stravinski de L’Histoire du soldat dans l’ambiance foraine légèrement dissonante développée dans les mouvements extérieurs. Si le corniste Hughes Viallon déçoit par l’imprécision de certaines attaques, les autres interprètes se montrent à la hauteur, tout particulièrement le violoncelle radieux de Nicolas Saint-Yves dans le bel Andante, grave et intimiste.
Krzysztof Urbanski
Après l’entracte, Krzysztof Urbanski fait résonner toutes les forces de l’Orchestre philharmonique de Radio France avec un éclat péremptoire dans les tutti, volontairement sauvage dans les scansions entonnées fortissimo. A l’inverse, les passages plus doux montrent une attention aux couleurs et à l’expression de contrechants inattendus, en un climat plus serein et analytique, porté vers le pianissimo en contraste. On suit cette lecture très physique avec l’impression qu’Urbanski conduit un instrument unique entièrement soumis à sa volonté: tout, dans ce geste attentif à la dynamique, participe d’une relecture excitante d’une œuvre pourtant tellement rebattue, expliquant sans doute la belle ovation finale du public et les applaudissements de l’orchestre, visiblement sous le charme.