L’affiche futuriste du spectacle, façon manga, en aura étonné plus d’un,
faisant croire à un énième avatar de la comédie musicale rock sur
Mozart présentée à Paris voilà six ans. Bien au contraire, Le Roi pasteur
est un opéra méconnu du jeune prodige autrichien, dernier ouvrage de sa
période dite «de jeunesse», composé six ans avant son premier
chef-d’œuvre lyrique, Idoménée. Négligée du fait de cet illustre
voisinage, l’œuvre souffre d’un découpage classique alternant récitatifs
et airs, sans aucun chœur, et est couronnée d’un seul duo en fin de
premier acte puis d’un ensemble regroupant les cinq solistes pour
conclure l’ouvrage. De même, cet opéra de chambre ne se distingue pas
par la variété des tessitures de ses solistes (trois sopranos et deux
ténors). L’histoire, quant à elle, se rapproche plus des bluettes
souvent mises en musique par son contemporain Haydn dans ses opéras que
des œuvres plus tardives de Mozart. Résolu à faire monter sur le trône
le jeune Aminta, berger ignorant de ses origines royales, le roi de
Macédoine Alessandro lui accorde la main de Tamir, pourtant promise au
noble Agenore. Lui-même amoureux éperdu d’Elisa, Aminta hésite, avant
qu’Alessandro ne décide in extremis à satisfaire tout le monde au nom de la noblesse de cœur des deux couples amoureux.
Beaucoup d’écueils pour un seul opéra, ce qui explique pourquoi ce Roi pasteur reste souvent oublié au disque comme à la scène – la représentation donnée à Zurich en 2011 en constituant l’une des exceptions notables. Pour autant, la musique pétillante d’un Mozart de seulement 19 ans fait mouche autour d’un brio digne des concertos pour violon, exactement contemporains. Et c’est la mine réjouie que l’on quitte le Châtelet après une ovation finale des plus enthousiastes de la part du public nombreux à la première. Une fois encore, le directeur général du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a eu le flair de réunir deux artistes qui osent, le plasticien Nicolas Buffe – découvert ici même dans un controversé Orlando paladino de Haydn en 2012 – et le metteur en scène Olivier Fredj, ancien assistant de Robert Carsen. Oser n’étant pas toujours un gage de réussite, l’apparition initiale des personnages fait craindre le pire avec leurs costumes assez cheap qui ne craignent pas le ridicule.
Un second degré assumé pleinement par les deux hommes, qui multiplient les références à l’univers visuel des mangas et jeux vidéos tout droit venus du Japon – pays d’adoption de Nicolas Buffe. Toute la fascination pour la subculture geek transpire dans le travail du plasticien, qui s’en donne à cœur joie pour donner vie à ses robots anthropomorphes aux faux airs d’Astroboy, ses soldats aux chorégraphies désopilantes façon «Bioman» ou son Alessandro grimé en X-OR. Véritable réussite visuelle, ces différents clins d’œil raviront la génération abreuvée de japanisation, mais les moins jeunes s’y retrouveront aussi, tant le spectacle se tient de bout en bout. Olivier Fredj apporte en effet un soin constant à la direction d’acteurs, finement réglée, afin de donner vie à l’imaginaire poétique et fantasmagorique de son comparse.
Il a surtout l’idée magistrale de résoudre l’une des principales faiblesses dramatiques de l’œuvre, à savoir le retournement soudain d’Alessandro en fin d’opéra. Fredj choisit d’introduire dès le début un compte à rebours pour trouver un héritier à Alessandro – nouveau clin d’œil aux jeux vidéo – dont la durée de 90 minutes correspond à celle de l’œuvre, permettant à la clémence finale d’intervenir logiquement, dans l’urgence de cet impératif. Fredj s’appuie aussi sur le découpage classique de l’œuvre, où les cinq chanteurs donnent leur premier air les uns après les autres, pour introduire lors de leur première apparition une drolatique fiche descriptive des personnages. Cet ajout bienvenu à l’allure futuriste, tout comme les bruitages au synthétiseur pendant les récitatifs, renforcent l’illustration de l’univers propre à la science-fiction. Ces effets au synthétiseur avait déjà été mis en œuvre dans Il mondo della Luna de Haydn, présenté à Bobigny par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris en 2013.
Seule petite déception, les éclairages apparaissent souvent sous-utilisés, sans doute en raison de la présence des images projetées en décor, renforçant l’effet cheap ou kitsch. Mais ce n’est là qu’un détail tant l’énergie et l’imagination débridée des deux hommes nous emporte pleinement, jusque dans son dernier numéro, enrichissant le moralisme conclusif attendu en le libérant de son statisme classique. Une énergie que l’on retrouve dans la fosse avec Jean-Christophe Spinosi, en résidence au Châtelet depuis 2007. Sens du relief et vie théâtrale sont les caractéristiques de sa direction, manquant seulement de couleurs dans les bois, très sollicités dans cette œuvre. Spinosi reste toujours très attentif à ses chanteurs, leur offrant toute la respiration nécessaire pour déployer un chant harmonieux.
Le plateau vocal est dominé sans conteste par son trio féminin, très à l’aise. C’est surtout l’Aminta de Soraya Mafi qui ravit à chaque apparition autour de la souplesse des transitions, la subtilité de la diction, l’intelligence du phrasé. Petite voix, elle est vivement applaudie à l’issue de la représentation. Autant de qualités que l’on retrouve chez sa comparse Elisa, incarnée par Raquel Camarinha, plus à l’aise encore dans la projection, mais sans doute un rien moins agile dans les différents passages de registres. Si Marie-Sophie Pollak (Tamir) et Krystian Adam (Agenore) se révèlent impeccables, Rainer Trost déçoit quelque peu avec des problèmes d’ampleur de tessiture, heureusement compensés par une interprétation hors pair en souverain farfelu.
Assurément un spectacle à ne pas manquer pour découvrir un jeune Mozart magnifié par une production aussi audacieuse que savoureuse. Un compositeur décidément à l’honneur puisqu’on retrouvera son opéra suivant, Idoménée, en deux productions différentes données aux opéras de Lille et Lyon jusqu’au 6 février.
Beaucoup d’écueils pour un seul opéra, ce qui explique pourquoi ce Roi pasteur reste souvent oublié au disque comme à la scène – la représentation donnée à Zurich en 2011 en constituant l’une des exceptions notables. Pour autant, la musique pétillante d’un Mozart de seulement 19 ans fait mouche autour d’un brio digne des concertos pour violon, exactement contemporains. Et c’est la mine réjouie que l’on quitte le Châtelet après une ovation finale des plus enthousiastes de la part du public nombreux à la première. Une fois encore, le directeur général du Châtelet, Jean-Luc Choplin, a eu le flair de réunir deux artistes qui osent, le plasticien Nicolas Buffe – découvert ici même dans un controversé Orlando paladino de Haydn en 2012 – et le metteur en scène Olivier Fredj, ancien assistant de Robert Carsen. Oser n’étant pas toujours un gage de réussite, l’apparition initiale des personnages fait craindre le pire avec leurs costumes assez cheap qui ne craignent pas le ridicule.
Un second degré assumé pleinement par les deux hommes, qui multiplient les références à l’univers visuel des mangas et jeux vidéos tout droit venus du Japon – pays d’adoption de Nicolas Buffe. Toute la fascination pour la subculture geek transpire dans le travail du plasticien, qui s’en donne à cœur joie pour donner vie à ses robots anthropomorphes aux faux airs d’Astroboy, ses soldats aux chorégraphies désopilantes façon «Bioman» ou son Alessandro grimé en X-OR. Véritable réussite visuelle, ces différents clins d’œil raviront la génération abreuvée de japanisation, mais les moins jeunes s’y retrouveront aussi, tant le spectacle se tient de bout en bout. Olivier Fredj apporte en effet un soin constant à la direction d’acteurs, finement réglée, afin de donner vie à l’imaginaire poétique et fantasmagorique de son comparse.
Il a surtout l’idée magistrale de résoudre l’une des principales faiblesses dramatiques de l’œuvre, à savoir le retournement soudain d’Alessandro en fin d’opéra. Fredj choisit d’introduire dès le début un compte à rebours pour trouver un héritier à Alessandro – nouveau clin d’œil aux jeux vidéo – dont la durée de 90 minutes correspond à celle de l’œuvre, permettant à la clémence finale d’intervenir logiquement, dans l’urgence de cet impératif. Fredj s’appuie aussi sur le découpage classique de l’œuvre, où les cinq chanteurs donnent leur premier air les uns après les autres, pour introduire lors de leur première apparition une drolatique fiche descriptive des personnages. Cet ajout bienvenu à l’allure futuriste, tout comme les bruitages au synthétiseur pendant les récitatifs, renforcent l’illustration de l’univers propre à la science-fiction. Ces effets au synthétiseur avait déjà été mis en œuvre dans Il mondo della Luna de Haydn, présenté à Bobigny par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris en 2013.
Seule petite déception, les éclairages apparaissent souvent sous-utilisés, sans doute en raison de la présence des images projetées en décor, renforçant l’effet cheap ou kitsch. Mais ce n’est là qu’un détail tant l’énergie et l’imagination débridée des deux hommes nous emporte pleinement, jusque dans son dernier numéro, enrichissant le moralisme conclusif attendu en le libérant de son statisme classique. Une énergie que l’on retrouve dans la fosse avec Jean-Christophe Spinosi, en résidence au Châtelet depuis 2007. Sens du relief et vie théâtrale sont les caractéristiques de sa direction, manquant seulement de couleurs dans les bois, très sollicités dans cette œuvre. Spinosi reste toujours très attentif à ses chanteurs, leur offrant toute la respiration nécessaire pour déployer un chant harmonieux.
Le plateau vocal est dominé sans conteste par son trio féminin, très à l’aise. C’est surtout l’Aminta de Soraya Mafi qui ravit à chaque apparition autour de la souplesse des transitions, la subtilité de la diction, l’intelligence du phrasé. Petite voix, elle est vivement applaudie à l’issue de la représentation. Autant de qualités que l’on retrouve chez sa comparse Elisa, incarnée par Raquel Camarinha, plus à l’aise encore dans la projection, mais sans doute un rien moins agile dans les différents passages de registres. Si Marie-Sophie Pollak (Tamir) et Krystian Adam (Agenore) se révèlent impeccables, Rainer Trost déçoit quelque peu avec des problèmes d’ampleur de tessiture, heureusement compensés par une interprétation hors pair en souverain farfelu.
Assurément un spectacle à ne pas manquer pour découvrir un jeune Mozart magnifié par une production aussi audacieuse que savoureuse. Un compositeur décidément à l’honneur puisqu’on retrouvera son opéra suivant, Idoménée, en deux productions différentes données aux opéras de Lille et Lyon jusqu’au 6 février.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire