La réédition de l’intégrale des Symphonies de Boris Liatochinski
(1895-1968) est un événement à saluer vivement, tant ce compositeur
ukrainien reste encore aujourd’hui bien méconnu alors même que la seule
écoute de ces œuvres suffit à convaincre immédiatement de leur valeur.
Les cinq symphonies composées entre 1918 et 1966, à quarante-huit ans
d’intervalle, permettent aussi d’établir un passionnant panorama des
évolutions musicales et politiques en Russie, des premières années
bolchéviques jusqu’au dégel consécutif à la mort de Staline en 1953.
Achevée en 1919 pour terminer son enseignement au Conservatoire de Kiev,
la Première Symphonie doit beaucoup à Glière, son professeur de
composition, mais plus encore à Scriabine – disparu en 1915. La
répétition enivrante des mélodies qui traversent les pupitres de
l’orchestre rappelle l’enchevêtrement virtuose du Poème de l’extase,
tout en donnant une place de premier plan aux flûtes en opposition aux
cuivres. Le superbe deuxième mouvement apporte en contraste une
atmosphère plus méditative évoquant un champ de ruines – sans doute en
écho aux événements guerriers récents. Le troisième et dernier mouvement
(seule la Troisième Symphonie en comporte quatre) revient à la
profusion des timbres entremêlés – ici magnifiquement enregistrés,
autour de la direction magistrale de Theodore Kuchar.
Le geste du chef américain d’origine ukrainienne, au tempo assez lent, exalte les couleurs d’un orchestre en grande forme, tout en bâtissant patiemment des cathédrales sonores exaltantes. On retrouve ce geste sûr dans la Deuxième Symphonie, composée en 1935 et révisée cinq ans plus tard. L’influence de Scriabine a disparu au profit d’un langage moderniste dans la lignée de la Lady Macbeth de Chostakovitch, Liatochinski ayant comme lui rejoint très tôt l’Association pour la musique contemporaine russe, participant activement à la section de Kiev. Tout comme son cadet de onze ans, Boris Liatochinski est accusé de formalisme avec sa Deuxième Symphonie – cette œuvre n’étant finalement créée qu’en 1964, peu de temps après le dégel lancé par Nikita Khrouchtchev et dans la foulée de la création de la Quatrième Symphonie de Chostakovitch en 1961. Les cuivres imposants donnent un climat martial au premier mouvement, tandis que l’Andante apporte davantage de lyrisme, avec un rôle toujours marquant des flûtes, très sollicitées. Le dernier mouvement voit revenir une écriture plus verticale, ponctuée par les percussions. Contrairement à Chostakovitch, qui s’amende rapidement avec la Cinquième Symphonie, présentée en 1937, Liatochinski met un certain temps avant de retrouver les grâces du régime. Son exclusion de l’Union des compositeurs de l’URSS (qui avait fusionné toutes les autres associations musicales en 1932) en est le symbole le plus saillant.
Le purgatoire prend fin en 1946, quand il reçoit son premier Prix Staline avec le Quintette ukrainien, illustration d’un patient travail de recueil de mélodies traditionnelles. Né à Jitomyr, ville à l’intense activité culturelle, berceau de nombreux artistes (dont Sviatoslav Richter), Liatochinski est resté toute sa vie attaché à l’Ukraine, la «Petite Russie» célébrée par Tchaïkovski dans sa Deuxième Symphonie. On trouve plusieurs traces de ces sources ukrainiennes dans la Troisième Symphonie, composée en 1951 et révisée en 1954. Créée par rien moins qu’Evguéni Mravinski et le Philharmonique de Leningrad, cet ouvrage constitue l’un des plus mémorables de son auteur, d’une inspiration moins avant-gardiste, mais à l’élan généreux où les idées se bousculent harmonieusement. Là encore, le natif de Jitomyr réussit un très bel Andante marqué par la répétition hypnotique d’un mouvement de balancier qui n’est pas sans rappeler la planète Saturne mise en musique par Gustav Holst pendant la Première Guerre mondiale.
La confrontation entre les versions Mravinski (enregistrement de la création, en mono) et Kuchar s’avèrent passionnante, le chef américain se distinguant notamment par une interprétation plus lente de 7 minutes par rapport à son illustre aîné. Deux visions opposées mais toute aussi intéressantes l’une que l’autre – la première nerveuse et exaltant la rythmique, l’autre plus apollinienne, à l’ample respiration, idéale pour savourer les timbres de l’orchestre ainsi mis en valeur. Autre œuvre emblématique contemporaine, la ballade pour orchestre Grazyna, composée pour le centième anniversaire, en 1955, de la mort du poète polonais Adam Mickiewicz. Le style est plus dépouillé et plus sombre, mais l’inspiration est toujours là, faisant parfois penser au Rachmaninov de L’Ile des morts. La dernière période créatrice voit la production de deux ultimes symphonies en seulement trois ans (1963-1966), la Quatrième se rapprochant du lyrisme de la Septième de Prokofiev, tandis que la Cinquième, dite «Slave», utilise de nombreux chants traditionnels russes et yougoslaves.
Ces trois disques (auxquels on peut ajouter le disque consacré à son élève et compatriote Evguéni Stankovitch, également enregistré par Kuchar), déjà parus chez Marco Polo en 1994, et ce pour fêter les cent ans de la naissance de Liatochinski l’année suivante, ressortent donc chez Naxos. Une réédition exemplaire pour un compositeur à découvrir d’urgence!
Le geste du chef américain d’origine ukrainienne, au tempo assez lent, exalte les couleurs d’un orchestre en grande forme, tout en bâtissant patiemment des cathédrales sonores exaltantes. On retrouve ce geste sûr dans la Deuxième Symphonie, composée en 1935 et révisée cinq ans plus tard. L’influence de Scriabine a disparu au profit d’un langage moderniste dans la lignée de la Lady Macbeth de Chostakovitch, Liatochinski ayant comme lui rejoint très tôt l’Association pour la musique contemporaine russe, participant activement à la section de Kiev. Tout comme son cadet de onze ans, Boris Liatochinski est accusé de formalisme avec sa Deuxième Symphonie – cette œuvre n’étant finalement créée qu’en 1964, peu de temps après le dégel lancé par Nikita Khrouchtchev et dans la foulée de la création de la Quatrième Symphonie de Chostakovitch en 1961. Les cuivres imposants donnent un climat martial au premier mouvement, tandis que l’Andante apporte davantage de lyrisme, avec un rôle toujours marquant des flûtes, très sollicitées. Le dernier mouvement voit revenir une écriture plus verticale, ponctuée par les percussions. Contrairement à Chostakovitch, qui s’amende rapidement avec la Cinquième Symphonie, présentée en 1937, Liatochinski met un certain temps avant de retrouver les grâces du régime. Son exclusion de l’Union des compositeurs de l’URSS (qui avait fusionné toutes les autres associations musicales en 1932) en est le symbole le plus saillant.
Le purgatoire prend fin en 1946, quand il reçoit son premier Prix Staline avec le Quintette ukrainien, illustration d’un patient travail de recueil de mélodies traditionnelles. Né à Jitomyr, ville à l’intense activité culturelle, berceau de nombreux artistes (dont Sviatoslav Richter), Liatochinski est resté toute sa vie attaché à l’Ukraine, la «Petite Russie» célébrée par Tchaïkovski dans sa Deuxième Symphonie. On trouve plusieurs traces de ces sources ukrainiennes dans la Troisième Symphonie, composée en 1951 et révisée en 1954. Créée par rien moins qu’Evguéni Mravinski et le Philharmonique de Leningrad, cet ouvrage constitue l’un des plus mémorables de son auteur, d’une inspiration moins avant-gardiste, mais à l’élan généreux où les idées se bousculent harmonieusement. Là encore, le natif de Jitomyr réussit un très bel Andante marqué par la répétition hypnotique d’un mouvement de balancier qui n’est pas sans rappeler la planète Saturne mise en musique par Gustav Holst pendant la Première Guerre mondiale.
La confrontation entre les versions Mravinski (enregistrement de la création, en mono) et Kuchar s’avèrent passionnante, le chef américain se distinguant notamment par une interprétation plus lente de 7 minutes par rapport à son illustre aîné. Deux visions opposées mais toute aussi intéressantes l’une que l’autre – la première nerveuse et exaltant la rythmique, l’autre plus apollinienne, à l’ample respiration, idéale pour savourer les timbres de l’orchestre ainsi mis en valeur. Autre œuvre emblématique contemporaine, la ballade pour orchestre Grazyna, composée pour le centième anniversaire, en 1955, de la mort du poète polonais Adam Mickiewicz. Le style est plus dépouillé et plus sombre, mais l’inspiration est toujours là, faisant parfois penser au Rachmaninov de L’Ile des morts. La dernière période créatrice voit la production de deux ultimes symphonies en seulement trois ans (1963-1966), la Quatrième se rapprochant du lyrisme de la Septième de Prokofiev, tandis que la Cinquième, dite «Slave», utilise de nombreux chants traditionnels russes et yougoslaves.
Ces trois disques (auxquels on peut ajouter le disque consacré à son élève et compatriote Evguéni Stankovitch, également enregistré par Kuchar), déjà parus chez Marco Polo en 1994, et ce pour fêter les cent ans de la naissance de Liatochinski l’année suivante, ressortent donc chez Naxos. Une réédition exemplaire pour un compositeur à découvrir d’urgence!
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