vendredi 1 décembre 2017

« Le Duc d'Albe » de Donizetti (version complétée par Giorgio Battistelli) - Opéra des Frandres à Gent - 25/11/2017


Cinq ans après la création mondiale de la version française du Duc d’Albe à l’Opéra des Flandres, la grande maison flamande reprend l’excellente production confiée à Carlos Wagner avec un plateau vocal entièrement renouvelé.

L’histoire mouvementée de cet opéra inachevé nous fait remonter aux débuts de Donizetti à Paris, lorsque les vicissitudes d’un changement de direction à l’Opéra le contraignent à abandonner son projet de grand opéra à la française, pourtant déjà bien avancé en 1840 : si l’ensemble de la ligne vocale est indiquée pour les quatre actes, seuls les deux premiers sont orchestrés. Rapidement, le natif de Bergame se remet à la tâche pour proposer La Favorite dès la fin de l’année, ce qui lui vaut une caricature célèbre le montrant en train de composer des deux mains, en dormant ! Dans le même temps, Eugène Scribe propose le livret du Duc d’Albe à Verdi, qui deviendra sous sa plume, en 1855, Les Vêpres siciliennes (on notera la reprise d’une production en français de cet ouvrage, donnée à l’Opéra de Francfort à partir du 26 novembre prochain). Reléguée aux oubliettes du vivant du compositeur, l’œuvre de Donizetti est achevée en 1882 par Matteo Salvi, l’un de ses anciens élèves, qui complète les parties manquantes au goût du jour, pour une adaptation en italien. L’œuvre disparaît ensuite du répertoire pour renaître en 1959 dans une version abrégée due au chef Thomas Schippers, qui élimine les ajouts de Salvi pour revenir à un style plus proche de Donizetti, toujours en italien. L’an passé, Mark Elder et Opéra Rara sont allés encore plus loin dans la radicalité, ne proposant que les deux premiers actes, cette fois-ci en français.

Pour autant, c’est bien à l’Opéra des Flandres qu’est revenu l’honneur de créer en 2012 cet ouvrage en français, avec le concours de Giorgio Battistelli (né en 1953). Le pari proposé consiste cette fois à composer les parties orchestrales manquantes dans un style tout autre, souvent proche de Britten, ce qui surprend l’ensemble de l’auditoire après l’entracte. Dès lors, la représentation devient passionnante, tant les imbrications entre l’écriture vocale de Donizetti et le style orchestral différent de Battistelli intriguent par leur fusion très réussie. Si vous n’avez pas la possibilité de vous déplacer à Gand, il vous faudra découvrir cette expérience sonore, bien éloignée de Berio et son seul finale de Turandot, par la découverte de cette production heureusement gravée au disque (Dynamic, 2013). Dans le même esprit, on regrette que cette production ne soit pas conservée par le dvd ou le blu-ray, tant le travail visuel exceptionnel réalisé par Carlos Wagner et son scénographe Alfons Flores (bien connu pour ses nombreuses productions avec la Fura dels Baus) concourent à la réussite de ce spectacle.

Le travail des deux hommes nous plonge d’emblée dans le drame guerrier en opposant le monde des puissants conquistadors, surélevés par une passerelle métallique, et le peuple vaincu lors d’une récente bataille, tout occupé – dans une poignante entrée en matière – à recueillir les corps à moitié nus des malheureuses victimes en contrebas. En arrière scène, des représentations monumentales de soldats en acier font penser à cette armée en argile fictive découverte dans le tombeau d’un empereur chinois, tandis que les premières images vidéo d’une immense Madone nous rappelait en début de spectacle la place prépondérante de la religion dans cette histoire. Carlos Wagner laisse de côté l’humour des premières scènes, autour des insolences du brasseur Daniel et des beuveries des soldats, pour mieux se concentrer sur les déterminismes qui semblent ici à l’œuvre. Mais ce sont surtout les magnifiques tableaux d’ensemble créés avec les chœurs, tout autant que la mise en valeur des décors par les éclairages admirablement variés, qui nous emportent tout du long.

Le plateau vocal se montre quant à lui satisfaisant en réunissant une palette de jeunes chanteurs d’aujourd’hui. Le rôle le plus lourd de l’ouvrage revient à Enéa Scala, bien connu en France (voir notamment en juin la production de Viva la Mamma ! présentée à Lyon), qui donne à son Henri une vaillance bienvenue, sans parler de sa souplesse idéale dans les changements de registres. On regrettera seulement que certaines tessitures aiguës du rôle ne l’oblige à forcer en voix de tête, tandis que les accélérations ne le montrent pas non plus à son avantage. Pour le reste, Scala convainc pleinement, particulièrement au niveau de l’articulation et de la prononciation du français, recevant une ovation chaleureuse en fin de représentation. Ania Jeruc (Hélène d’Egmont) a pour elle un splendide timbre charnu parfaitement projeté, auquel ne manque qu’une interprétation plus investie dans les parties dramatiques. A ses côtés, Kartal Karagedik joue par trop le raffinement dans son rôle du Duc d’Albe, ce qui est d’autant plus regrettable qu’il possède tous les moyens vocaux lui permettant de donner davantage de noirceur à son personnage. Tous les autres rôles se montrent à la hauteur, tout autant que les chœurs, tandis que la direction d’Andriy Yurkevych privilégie la respiration et les oppositions sereines entre pupitre : avec cette baguette lyrique sans volonté démonstrative, Donizetti ne paraît jamais heurté, offrant un écrin idéal aux chanteurs, jamais couverts.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire