lundi 9 mars 2020

« Anatevka » de Jerry Bock - Barrie Kosky - Opéra Comique de Berlin - 07/03/2020


On ne saurait trop conseiller de courir voir ou revoir cette reprise de l’un des plus beaux spectacles mis en scène par Barrie Kosky, créé au Komische Oper de Berlin en 2017 pour fêter les 70 ans de l’institution. Si quelques chanceux ont pu découvrir cette production dans sa version française l’an passé à Strasbourg, on rappellera que le Komische Oper propose les surtitres dans notre langue, sur chaque siège devant soi: de quoi se délecter de l’humour constamment à l’œuvre dans la comédie musicale Un Violon sur le toit (1964) de Jerry Bock – un des plus grands succès de toute l’histoire de Broadway avec plus de 3000 représentations sans interruption, ici donné dans sa version allemande appelée Anatevka, du nom du village ukrainien où se déroule l’action.

On ressort ému du parcours tragi-comique de Tevye, une sorte de Job continuellement mis à l’épreuve de sa foi par ses filles, toutes occupées à aimer un promis inattendu, sur fond de récit social tendre et désopilant d’une petite communauté juive d’Europe centrale. La qualité des dialogues aux nombreuses réparties comiques donne un rythme trépidant, tout en annonçant, par son discours militant pour les libertés individuelles, les bouleversements sociaux de la fin des années 1960. Pour autant, au-delà de la mise en cause des traditions comme vecteur d’immobilisme, l’histoire rattrape vite nos protagonistes, une nouvelle fois contraint au sempiternel exil de leur peuple à travers le monde. Dans ce contexte, la musique de Jerry Bock (1928-2010) touche au cœur plusieurs fois par la variété de son inspiration, de la rythmique entêtante des fanfares mêlées d’accents forains aux emprunts folkloriques qui font la part belle à l’accordéon et à la clarinette.


Barrie Kosky s’empare d’emblée de l’issue tragique en figurant un monumental décor constitué de meubles de toutes sortes, annonciateur du «grand dérangement» – comme les Français de la Nouvelle-France ont appelé leur exil forcé dans la province de Québec. Il est également possible que Kosky ait ainsi voulu suggérer l’exiguïté des quartiers juifs de l’époque, en un joyeux désordre qui fait ressortir l’humanité de cette communauté chaleureuse, jusque dans ses défauts les plus savoureux. Ce décor astucieux permet aussi aux personnages d’entrer et sortir de la scène avec malice, sans jamais se départir de leur entrain populaire, franc et joyeux. Comme souvent, Kosky prend un soin particulier à éviter toute caricature (notamment le personnage plus humain qu’il n’y paraît de Golde, la femme de Tevye), en brossant finement le caractère de chacun par d’infinis détails, de la voisine commère qui boite et mange sans cesse, au rabbin gâteux et maladroit: tout en restituant admirablement la tendresse qui lie cette communauté qui ne se connaît que trop bien, Kosky n’en oublie pas de figer l’action plusieurs fois pour mettre en relief les interrogations existentielles de Tevye, personnage touchant de bout en bout jusque dans ses doutes et fragilités.

Comédie musicale oblige, la sonorisation est de mise, jusque dans les dialogues parlés. On s’habitue toutefois assez vite à cet apport un rien trop audible au Komische Oper, du fait de la belle énergie de troupe déployée par le plateau vocal réuni. Dans cette optique, les saluts en fin de représentation évitent de donner la part belle à tel ou tel – même si le public parvient à réserver un bel accueil à l’humanité déchirante de Max Hopp (Tevye), si juste tout au long de la soirée. Dagmar Manzel (Golde) ne lui cède en rien dans la subtilité de son incarnation, entre débit cassant rapidissime et émotion sous-jacente, même si elle déçoit au niveau vocal par un aigu peu en place. Tous les autres rôles montrent un niveau superlatif, au premier rang desquels la truculente Yente de Barbara Spitz. Le tout est parfaitement dirigé par un Koen Schoots attentif à la rythmique et aux couleurs, indispensable à la réussite de cette très belle soirée, logiquement conclue par une standing ovation.

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