Le ratage de la précédente production de Manon, imaginée par Coline Serreau en 2012
aura peut-être préjugé du choix plus consensuel de Vincent Huguet (né
en 1976), ancien assistant de Patrice Chéreau (1944-2013) lors de ces
derniers spectacles. On retrouve précisément l’univers visuel de la
dernière pièce mise en scène par le Français en 2010, avec Rêve d’automne
de Jon Fosse: si le Louvre est cette fois-ci remplacé par le Conseil
économique et social et son monumentalisme Art déco, les protagonistes
continuent d’évoluer au milieu des œuvres d’art. Huguet cherche ainsi à
distinguer plus encore Des Grieux et Manon, en une opposition symbolique
entre la culture et les désirs plus superficiels de Manon – le tout
autour d’une transposition dans les années 1920 qui replace l’action
dans une temporalité fiévreuse en forme de saga temporelle au long
cours. Dans ce cadre, la fin des Années folles permet de donner
davantage de relief à l’ouvrage, lorsque les deux amoureux se retrouvent
en un temps politique perturbé.
Si ce travail montre parfois quelques limites dans une direction d’acteur qui hésite entre réalisme et esthétisme, n’évitant pas quelques caricatures et répétitions dans le jeu individuel, l’ensemble reste plaisant et bien mené, en un style élégant situé entre le travail de Vincent Boussard et celui d’Ivan Alexandre. C’est particulièrement notable dans la scène de bal, où l’éclat des costumes monochromes se voit applaudir par une assistance ravie, tandis que la scène de cabaret clandestin interlope touche juste par ses détails piquants aux Années folles – tout particulièrement les allusions saphiques prêtées à Manon, aux faux airs de Joséphine Baker.
Pretty Yende s’empare du rôle-titre avec une assurance toute frivole au début, en lien avec les intentions de la mise en scène, avant de gagner en majesté ensuite: le velouté radieux de l’émission, comme la grâce touchante des pianissimi font souvent oublier une voix qui manque de volume dans le medium et les ensembles (au IV et V notamment). A ses côtés, Benjamin Bernheim reçoit une ovation méritée en fin de représentation, même si le trac en début de soirée voile légèrement son timbre dans l’aigu. Une fois ces difficultés passées, on ne peut que se délecter de la qualité de la diction et la vaillance des phrasés. Il lui reste encore toutefois à donner davantage de vérité dramatique à son incarnation pour approcher Roberto Alagna, inoubliable dans ce rôle ici-même en 2004, avec le regretté Michel Sénéchal en Morfontaine. Grimé en académicien suffisant, Rodolphe Briand reprend avec un bel aplomb théâtral ce rôle, dont il se souvient qu’il doit beaucoup à l’opéra-comique français. Ludovic Tézier s’impose également en Lescaut, toujours aussi solide d’aisance naturelle, tandis que Roberto Tagliavini séduit plus encore en comte Des Grieux, par une prestance plus affirmée, le tout en un chant bien projeté.
Autour de ce plateau vocal de qualité, la grande satisfaction de la soirée vient de la fosse, où Dan Ettinger (né en 1971) fait briller l’Orchestre de l’Opéra national de Paris de mille feux: cela lui vaut d’obtenir une rare standing ovation de la part des musiciens à l’issue du spectacle, manifestement séduits par sa direction inventive, qui fait la part belle aux contrastes dynamiques et aux nuances.
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