Chapelle Corneille |
A Rouen, le chef italien dirige du clavecin dans le cadre grandiose de l’église Saint-Louis, désormais plus sobrement appelée chapelle Corneille, qui a été transformée en salle de concerts permanente depuis sa rénovation en 2016. Dotée de 600 places, elle offre un écrin idéal pour les petites formes, ce dont se saisit De Marchi avec les forces de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dont les cordes jouent pour l’occasion avec des boyaux et des archets d’époque, le plus souvent debout.
Le concert débute avec le ballet Pygmalion (1745) du Berlinois Carl Heinrich Graun, rival de Johann Adolph Hasse en son temps, en matière lyrique. Sa musique de ballet démontre toute son imagination dans la variété des couleurs (magnifique travail sur les percussions), au service d’un style miniaturiste qui fait s’enchaîner de petites pièces de caractère, très évocatrices, à la manière de son contemporain Gottfried Heinrich Stölzel (voir le disque que Győrgy Vashegyi a consacré en 2019 à ce compositeur). De Marchi fait vivre cette musique en insufflant une belle énergie à ses troupes, dont la répartition spatiale (notamment les deux bassons placés devant, de chaque côté de la scène) apporte un éclairage particulièrement bienvenu dans les passages solistes. On se délecte ainsi des sonorités suaves du premier basson tout de sensibilité de Batiste Arcaix, à plusieurs reprises. Très attentif aux nuances, De Marchi donne quant à lui beaucoup de vigueur avec ses attaques franches, tout du long.
La direction théâtrale de De Marchi fait ressortir toutes les influences espagnoles de l’entrée en fandango,
avec l’ajout de castagnettes pour l’occasion. On note aussi
l’engagement de l’excellent pupitre des violoncelles, là où les violons
sont parfois plus flottants. Mais le clou incontestable du spectacle
vient du Finale, dédié au déchaînement des Furies, qui emportent Don
Juan dans les affres de l’enfer. On comprend l’effet de contraste que ce
morceau, plus développé que les autres, a dû produire en 1761, tant sa
modernité impressionne : la scansion entêtante de la mélodie au
début (reprise par Boccherini dans sa Symphonie en ré mineur « La casa del Diavolo ») annonce un orage jubilatoire de doubles croches, dans le style des passions du Sturm und Drang,
en vogue peu de temps après. Les effets de spatialisation des cuivres,
très sollicités, donnent aussi un relief saisissant à ce tonnerre de
crépitements, applaudi comme il se doit par un auditoire ravi.
On retrouvera le chevalier Gluck à Rouen dès fin février prochain pour apprécier son chef-d’œuvre français Iphigénie en Tauride (1779),
avec Véronique Gens dans le rôle-titre (en remplacement de Karine
Deshayes, souffrante). La très belle saison de l’Opéra de Rouen
Normandie se poursuivra ensuite avec une attendue Jenůfa de Janácek, fin avril, dans la transposition contemporaine imaginée par Calixto Bieito (voir en 2015 à Stuttgart).
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