mardi 25 janvier 2022

« Les Oiseaux » de Walter Braunfels - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 24/01/2022

L’Opéra national du Rhin poursuit son exploration courageuse d’un répertoire en grande partie méconnu en France, celui des musiciens qualifiés par le régime nazi de « dégénérés» : après La Ville morte de Korngold en 2001, puis Le Son lointain de Schreker en 2012, une nouvelle création scénique française a lieu en ce début d’année avec Les Oiseaux (1920) de Walter Braunfels (1882-1954). C’est là un événement à saluer tant le chef d’oeuvre de Braunfels, révélé par la collection discographique «Entartete musik» en 1996, semble avoir retrouvé le chemin des planches, avec plusieurs productions phares à Genève ou Munich, mais également à Los Angeles en 2009 par James Conlon, grand spécialiste du répertoire de l’entre-deux-guerre.

Proche du style du Chevalier à la Rose et d’Ariane à Naxos de Richard Strauss, la musique frémissante de Braunfels utilise toute la palette des couleurs de l’orchestre au service d’un lyrisme lumineux, toujours évocateur. Tout amoureux de l’orchestre devra nécessairement connaître cet ouvrage, dont l’inspiration mélodique aux brèves cellules rythmiques est un délice de raffinement, notamment dans la première partie en arioso. Si les interludes oniriques plus développés évoque l’art d’Humperdinck, le magnifique duo entre Bonespoir et le Rossignol au II nous rappelle combien la dette envers le Wagner des Maitres chanteurs et de Parsifal, reste très présente ici.

A l’instar du maître de Bayreuth, Braunfels écrit lui-même ses livrets, ce qui explique sans doute la longue gestation de l’ouvrage, initié en 1913 et interrompu par la guerre. Blessé lors du conflit, le compositeur se convertit à la religion catholique, ce qui influence profondément l’adaptation qu’il réalise de la pièce antique « Les Oiseaux » d’Aristophane. Si le déroulé du récit est sensiblement identique en première partie, avec l’ascension de Fidèlami en manipulateur des masses, Braunfels s’en écarte ensuite en laissant de côté la satire de la fascination humaine pour les mirages de l’utopie, tout autant que les réparties comiques nombreuses qui infusent la pièce sur un ton volontiers «rabelaisien». Le livret préfère se concentrer sur la double trajectoire initiatique de Fidèlami et Bonespoir ; tout particulièrement la transformation de ce dernier, à la recherche de lui-même et d’une transcendance éloignée des petitesses terrestres.

Ted Huffman transpose l’action dans le huis-clos étouffant d’un «open space» d’entreprise, comme il en existe partout aujourd’hui. C’est bien vu, tant cet univers impersonnel évoque à merveille l’absence de perspective des deux protagonistes, empêtrés dans des tâches répétitives peu épanouissantes. Pour autant, le metteur en scène américain peine à revisiter son plateau en première partie, au-delà de la seule direction d’acteur, sans parvenir à distinguer les parcours opposés empruntés par Fidèlami et Bonespoir. La volonté de ne pas grimer le choeur en volatiles donne une certaine modernité visuelle à l’ensemble, mais n’aide pas à saisir les enjeux philosophiques du livret, parfois un rien trop bavard dans son déroulé. Après l’entracte, l’évocation de la forêt par l’amoncellement de papiers de bureaux donne un ton écologique bienvenu, tandis qu’Huffman s’appuie sur les danseurs pour animer le plateau. On retient ainsi tout particulièrement la saisissante scène de l’affrontement avec les Dieux, aux mouvements parfaitement réglés avec l’ensemble du choeur.

Après le retrait du chef Aziz Shokhakimov, malade, la production doit subir plusieurs défections à l’orchestre et parmi les danseurs : dès lors, tous les chanteurs choisissent la prudence en portant le masque, à l’exception de Tuomas Katajala (Bonespoir) dans son duo avec le Rossignol au II. Le ténor finlandais est la grande révélation de la soirée, tant son chant aussi aisé que radieux illumine chaque intervention. La beauté du timbre, tout autant que la clarté d’émission, sont un régal constant. A ses côtés, Cody Quattlebaum est un solide Fidèlami, à la ligne de chant souple, mais qui manque de morgue et de noirceur dans son rôle trouble. On aime l’agilité et la rondeur d’émission de Marie-Eve Munger (le Rossignol), aux aigus du plus bel effet dans les vocalises. La soprano canadienne parvient à faire oublier une tessiture parfois limite dans les graves par un bel investissement scénique. A ses côtés, Christoph Pohl (la Huppe) compense un timbre un peu terne par une noblesse d’émission parfaitement adaptée, tandis que les seconds rôles se montrent d’une très belle tenue, à l’instar de l’excellent chœur de l’Opéra national du Rhin, toujours très investi.

Dans la fosse, la jeune chef coréenne Sora Elisabeth Lee, membre de l’Opéra Studio, imprime des tempi très vifs aux musiciens, qui saisissent admirablement ce souffle moderne apporté à la partition, particulièrement les interventions piquantes aux vents. Il reste maintenant à aller plus avant encore dans la découverte des chefs d’oeuvres oubliés de Walter Braunfels : on pourrait ainsi s’intéresser à L’Annonciation (1935) ou aux Scènes de la vie de Jeanne d’Arc (1943), un ouvrage au lyrisme mélodique entêtant, récemment donné à l’Opéra de Cologne. En attendant, on ne manquera pas de découvrir la passionnante exposition consacrée aux animaux de la collection du musée Würth (situé à 15 minutes en train au sud de Strasbourg), et tout particulièrement la série des oiseaux imaginée par le peintre allemand Emil Wachter (1921-2012).

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