Désignée capitale européenne de la culture en 2004, la ville de Lille a poursuivi depuis lors cet élan en organisant tous les trois ans le festival « Lille 3000 ». Avec son offre multiculturelle, l’édition 2022 « Utopia » valorise de nombreuses expositions de tout premier plan dans la métropole (notamment la présentation d’oeuvres inédites d’Annette Messager au Lam à Villeneuve d’Ascq) et pare les rues nordistes de nombreuses installations spectaculaires, dont les dix statues géantes en mousse entre la gare et l’Opéra, réalisées par le Finlandais Ken Simonsson. Ces elfes aux allures enfantines, emblématiques de la culture pop, illustrent le thème de cette édition dédiée à l’harmonie entre l’homme et la nature : c’est aussi une transition naturelle avec Le Songe d’une nuit d’été, l’un des chefs d’oeuvre lyrique les plus poétique et évocateur de Benjamin Britten, représenté dans le cadre du festival jusqu’au 22 mai prochain à Lille, mais également gratuitement le 20 mai sur de nombreux grands écrans des Hauts-de-France.
C’est là un événement à ne pas manquer, tant la féérie joue à plein dans la mise en scène toute de finesse de Laurent Pelly. On retrouve le Français bien connu à Lille après ses réussites comiques dédiées à Cendrillon de Massenet en 2012 et Le Roi Carotte d’Offenbach en 2018 – Il se démarque de la mise en scène intemporelle de Robert Carsen, constamment reprise depuis 1991 (notamment en 2016 au cinéma), en apportant plusieurs touches humoristiques mais jamais envahissantes, tout en différenciant les trois mondes (merveilleux, amoureux, théâtreux) en un décor unique bien revisité tout du long, qui laisse la place à la poésie évocatrice et à l’imagination. Avec ces nombreux effets de miroir (en panneaux mouvants, sur le sol ou en arrière-scène) admirablement mis en valeur par le travail sur les éclairages, Laurent Pelly s’amuse à renforcer le théâtre dans le théâtre, déjà très présent dans l’ouvrage : l’une des saynètes les plus saisissantes est certainement celle qui suit la danse bergamasque au III, lorsque les interprètes découvrent le public sous leurs yeux ébahis. Comme à son habitude, Laurent Pelly impressionne par la justesse millimétrée de sa direction d’acteur, toujours au service de l’action dramatique.
La réussite de cette production vaut aussi pour l’excellent plateau vocal, en grand partie anglophone. A l’aise vocalement, Nils Wanderer (Oberon) et Marie-Eve Munger (Tytania) se saisissent ainsi de leurs rôles périlleux avec un sens théâtral jamais pris en défaut, à l’instar des tourtereaux impressionnants de brio et d’éloquence. Parmi eux, seul David Portillo (Lysander) peine à nuancer son chant trop en force, notamment dans les piani et le medium, ce qui est d’autant plus regrettable que la beauté de son timbre séduit. A ses côtés, Dominic Barberi compose un désopilant Bottom (et ce malgré un masque d’âne qui affaiblit sa projection), bien épaulé par ses acolytes ouvriers. Là encore, une réserve est à émettre concernant le Snug trop chantant de Thibault de Damas, mais il est vrai que le rôle est redoutable dans le dosage de comique à distiller. Rien de tel pour le Puck aux allures de Pierrot de la virevoltante et radieuse Charlotte Dumartheray, très engagée dans son rôle. Tout aussi bien préparé, le choeur d’enfants assure bien sa partie, même s’il se montre un rien trop tendre par endroit dans l’espièglerie attendue.
Dans la fosse, Guillaume Tourniaire se régale des couleurs exacerbées en distinguant chaque pupitre, le tout au service d’une direction brillante et incandescente, qui n’en oublie pas les passages plus apaisés par une attention soutenue à l’élan narratif global. De quoi ressortir avec des étoiles pleins les yeux, après l’ovation enthousiaste du public venu en nombre pour fêter les délices enchanteurs de Britten.
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