Parmi les temps forts de la saison stéphanoise, la récréation scénique de Lancelot
(1900), tout dernier ouvrage lyrique de Victorin Joncières (1839‑1903),
occupe une place de choix, ce dont témoigne le public venu en nombre
pour l’occasion. Peu connu de nos jours, le compositeur parisien
bénéficie des efforts conjoints du Palazzetto Bru Zane et d’Hervé Niquet
pour faire vivre sa musique, qui trahit autant son éducation française
par la finesse de son orchestration que son admiration pour Wagner dans
les passages emphatiques plus cuivrés. La résurrection de Dimitri (1876), paru aux Ediciones Singulares en 2014,
avait permis de découvrir le plus grand succès obtenu par Joncières de
son vivant, déjà avec Hervé Niquet à la baguette : le chef français
prouve une fois encore toute son affinité pour le romantisme finissant,
alliant un geste souple et aérien au service de tempi soutenus, tout en
faisant ressortir les parties martiales sans brutalité, au bénéfice de
la continuité dramatique. Même si on aimerait parfois un peu plus de
respiration dans les transitions entre les différents tableaux, ce parti
pris évite toute lourdeur au propos.
Outre cette direction cinglante, le livret surprend par son enchaînement
rapide des péripéties, réduisant ce grand opéra à la française à une
durée d’un peu plus de deux heures – avec un ballet légèrement écourté à
Saint‑Etienne. On s’habitue peu à peu à cette efficacité théâtrale due à
Edouard Blau et Louis Gallet, également librettiste de Massenet,
Saint‑Saëns ou Bizet (voir notamment la récente production tourangelle de La Princesse Jaune et Djamileh),
en lien avec la musique tout aussi accessible et souvent spectaculaire
de Joncières. Si l’on peut regretter une orchestration opulente (y
compris dans les passages apaisés) et sans surprises, cette musique
franche et directe ne peut manquer de séduire par son éloquence, ce dont
le jeune public enthousiaste (très présent le soir de la première)
s’est manifestement félicité tout au long de la représentation.
Tomasz Kumiega |
Il faut dire que le plateau vocal réuni pour l’occasion ne manque pas de
brillants atouts, au premier rang desquels les deux interprètes
féminines, très investies dans leurs rôles respectifs. Ainsi d’Anaïk
Morel (Guinèvre), qui confirme toutes les attentes (voir Ariane et Barbe‑Bleue donné à Nancy en début d’année),
séduisant autant par le charnu de ses graves bien soutenus que le
mordant de ses intentions dramatiques. On aime aussi l’Elaine d’Olivia
Doray, à l’aisance superlative sur toute la tessiture, au service d’une
incarnation vibrante de naturel. A ses côtés, Frédéric Caton donne à son
rôle une noblesse de ligne d’une précision millimétrée dans
l’articulation, qui compense un timbre quelque peu fatigué par les
années. Aucun problème de ce point de vue pour l’éclatant Arthus de
Tomasz Kumiega, à la projection aisée : sa présence scénique lui vaut
des applaudissements mérités à l’issue du spectacle, à l’instar du
Lancelot engagé de Thomas Bettinger, et ce malgré une émission rétrécie
dans le suraigu, qui fait perdre de la substance à son timbre. Outre des
seconds rôles bien distribués, on se félicite de l’excellence du Chœur
lyrique Saint‑Etienne Loire, très précis dans ses interventions.
Autre atout de la soirée, la mise en scène de Jean‑Romain Vesperini, qui
choisit d’évoquer finement le contexte médiéval autour d’une
scénographie unique, admirablement revisitée tout du long : autant la
finesse des éclairages dans la pénombre que l’usage d’un plateau
tournant surélevé (représentant notamment la Table ronde) apportent
variété et volume à l’ensemble. Essentiellement visuel, ce brio
bénéficie aussi d’une direction d’acteur soutenue, notamment pour le
chœur, utilisé comme élément de décor au I (lors des cérémonies autour
de la Table ronde). Un spectacle sans temps morts qui donne ses lettres
de noblesse au grand opéra, sans aucune ostentation.
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