lundi 9 mai 2022

« Lancelot » de Victorin Joncières - Jean‑Romain Vesperini - Opéra de Saint-Etienne - 06/05/2022

Parmi les temps forts de la saison stéphanoise, la récréation scénique de Lancelot (1900), tout dernier ouvrage lyrique de Victorin Joncières (1839‑1903), occupe une place de choix, ce dont témoigne le public venu en nombre pour l’occasion. Peu connu de nos jours, le compositeur parisien bénéficie des efforts conjoints du Palazzetto Bru Zane et d’Hervé Niquet pour faire vivre sa musique, qui trahit autant son éducation française par la finesse de son orchestration que son admiration pour Wagner dans les passages emphatiques plus cuivrés. La résurrection de Dimitri (1876), paru aux Ediciones Singulares en 2014, avait permis de découvrir le plus grand succès obtenu par Joncières de son vivant, déjà avec Hervé Niquet à la baguette : le chef français prouve une fois encore toute son affinité pour le romantisme finissant, alliant un geste souple et aérien au service de tempi soutenus, tout en faisant ressortir les parties martiales sans brutalité, au bénéfice de la continuité dramatique. Même si on aimerait parfois un peu plus de respiration dans les transitions entre les différents tableaux, ce parti pris évite toute lourdeur au propos.

Outre cette direction cinglante, le livret surprend par son enchaînement rapide des péripéties, réduisant ce grand opéra à la française à une durée d’un peu plus de deux heures – avec un ballet légèrement écourté à Saint‑Etienne. On s’habitue peu à peu à cette efficacité théâtrale due à Edouard Blau et Louis Gallet, également librettiste de Massenet, Saint‑Saëns ou Bizet (voir notamment la récente production tourangelle de La Princesse Jaune et Djamileh), en lien avec la musique tout aussi accessible et souvent spectaculaire de Joncières. Si l’on peut regretter une orchestration opulente (y compris dans les passages apaisés) et sans surprises, cette musique franche et directe ne peut manquer de séduire par son éloquence, ce dont le jeune public enthousiaste (très présent le soir de la première) s’est manifestement félicité tout au long de la représentation.

Tomasz Kumiega

Il faut dire que le plateau vocal réuni pour l’occasion ne manque pas de brillants atouts, au premier rang desquels les deux interprètes féminines, très investies dans leurs rôles respectifs. Ainsi d’Anaïk Morel (Guinèvre), qui confirme toutes les attentes (voir Ariane et Barbe‑Bleue donné à Nancy en début d’année), séduisant autant par le charnu de ses graves bien soutenus que le mordant de ses intentions dramatiques. On aime aussi l’Elaine d’Olivia Doray, à l’aisance superlative sur toute la tessiture, au service d’une incarnation vibrante de naturel. A ses côtés, Frédéric Caton donne à son rôle une noblesse de ligne d’une précision millimétrée dans l’articulation, qui compense un timbre quelque peu fatigué par les années. Aucun problème de ce point de vue pour l’éclatant Arthus de Tomasz Kumiega, à la projection aisée : sa présence scénique lui vaut des applaudissements mérités à l’issue du spectacle, à l’instar du Lancelot engagé de Thomas Bettinger, et ce malgré une émission rétrécie dans le suraigu, qui fait perdre de la substance à son timbre. Outre des seconds rôles bien distribués, on se félicite de l’excellence du Chœur lyrique Saint‑Etienne Loire, très précis dans ses interventions.

Autre atout de la soirée, la mise en scène de Jean‑Romain Vesperini, qui choisit d’évoquer finement le contexte médiéval autour d’une scénographie unique, admirablement revisitée tout du long : autant la finesse des éclairages dans la pénombre que l’usage d’un plateau tournant surélevé (représentant notamment la Table ronde) apportent variété et volume à l’ensemble. Essentiellement visuel, ce brio bénéficie aussi d’une direction d’acteur soutenue, notamment pour le chœur, utilisé comme élément de décor au I (lors des cérémonies autour de la Table ronde). Un spectacle sans temps morts qui donne ses lettres de noblesse au grand opéra, sans aucune ostentation.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire