Délicieuse Phryné ! Comment un tel bijou a pu disparaitre du 
répertoire alors qu’il fut l’un des succès les plus immédiats de son 
auteur en 1893, avant qu’André Messager ne contribue à sa large 
diffusion en composant des récitatifs, sur la demande de Saint‑Saëns, 
trois ans plus tard ? La Première Guerre mondiale et les traumatismes 
qu’elle a engendrée mirent un coup d’arrêt brutal à la carrière de cet 
opéra comique, dont la facétie piquante et étourdissante reste attachée à
 la légèreté insouciante de la « Belle époque ». Dans la continuité des 
célébrations, en 2021, du centenaire de la mort du compositeur, c’est 
donc là l’occasion de découvrir ce chef‑d’œuvre de concision (un peu 
plus d’une heure de musique), d’esprit et de finesse dans les conditions
 modernes des résurrections orchestrées par les équipes du Palazzetto 
Bru Zane : qualité superlative de l’enregistrement sonore, soin apporté à
 l’articulation à la diction, et toujours cette impeccable édition en 
luxueux livre‑disque (avec des textes passionnants de contextualisation,
 dus cette fois à Alexandre Dratwicki, Vincent Giroud, Pierre Siéré et 
Félix Régnier).
On peine aujourd’hui à imaginer Saint‑Saëns dans la veine comique, alors que son célèbre Carnaval des animaux
 plaide en sa faveur de ce point de vue. Le titre de l’ouvrage n’est 
guère vendeur aussi, alors qu’en réalité le compositeur transpose une 
intrigue certes inoffensive mais toujours charmante, en son contexte 
chéri de l’Antiquité. Il ne faut chercher ici aucune satire à l’ivresse 
farfelue dans le style d’Orphée aux Enfers d’Offenbach ou La Belle Hélène,
 mais plutôt se délecter d’une musique bondissante et aérienne, qui fit à
 juste titre l’admiration de Gounod, modèle évident en matière de 
raffinement dans l’allégement orchestral. Il faut dire que la direction 
d’Hervé Niquet, décidément très à l’aise dans ce répertoire, est un 
modèle d’équilibre, donnant autant des tempi vifs dans les parties 
endiablées que plus apaisés lors des délicieux élans amoureux entre 
Phryné et Nicias.
Le couple phare de cet opéra comique concentre toute l’attention : le 
choix de Florie Valiquette (Phryné) et Cyrille Dubois (Nicias) est 
proche de l’idéal, tant les deux chanteurs rivalisent en beauté du 
timbre et en expressivité. Florie Valiquette a pour elle un velouté 
d’émission, un aigu rayonnant, là où Cyrille Dubois impressionne 
toujours autant par ses phrasés naturels, portés par une myriade de 
couleurs. A leurs côtés, Thomas Dolié (Dicéphile) démontre combien il 
est un choix toujours solide dans ce répertoire, imposant ses qualités 
d’articulation et d’engagement (impressionnantes dans les accélérations,
 notamment), de même que la lumineuse Anaïs Constans (Lampito). Tous les
 seconds rôles donnent satisfaction, de même que l’excellent Chœur du 
Concert Spirituel, très présent tout du long.
Outre le présent livre‑disque, il sera possible de découvrir ce 
chef‑d’œuvre sur la scène de l’Opéra‑Comique, pour une unique date, le 
11 juin prochain. Tous les chanteurs principaux susmentionnés, à 
l’exception notable de Florie Valiquette (remplacée par Anne‑Catherine 
Gillet), seront présents : à ne pas manquer ! 
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
dimanche 22 mai 2022
« Phryné » de Camille Saint‑Saëns - Hervé Niquet - Disque Palazzetto Bru Zane
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