Créé en 2018 à l’Opéra Bastille, la nouvelle production de Parsifal imaginée par Richard Jones fait son retour dans les mêmes lieux avec un plateau vocal entièrement renouvelé : c’est là un événement, tant l’ultime chef d’œuvre de Wagner fascine toujours par son sujet mystique intemporel, sa musique envoûtante et son aura de mystère. Pour autant, Richard Jones choisit d’évacuer d’emblée le merveilleux pour transposer l’action autour d’une secte d’adorateurs crédules du Graal et de son protecteur Titurel. Au-delà des gestes et attitudes ritualisées, typiques d’une secte, la bible vénérée, ici appelée « Wort » (que l’on peut traduire par « la parole »), est brandie par tous comme un totem, tout près de la statue monumentale du guide spirituel, chargé de guérir les corps et les âmes. Cette illustration visuelle marquante au I, où le plateau est dévoilé peu à peu en un mouvement de travelling avant-arrière, permet de concentrer l’action sur la foule de fidèles et donne davantage d’action au récit statique de Gurnemanz.
L’insistance sur la faiblesse physique des deux guides, Titurel et Amfortas, en lien avec les quelques fidèles en dialyse, est l’idée-force de cette mise en scène, qui veut donner du corps et de la chair aux personnages pour mieux accompagner leur parcours initiatique et spirituel. De même, au II, le double renoncement de Parsifal aux plaisirs charnels s’exprime avec le refus de l’extraversion très crue du désir des filles-fleurs, en un contraste saisissant et volontairement provocateur, là où Kundry se veut plus sournoise dans ses multiples assauts séducteurs. On aime aussi l’idée de donner davantage de place à cet amour avorté au III, alors que Kundry est désormais pratiquement muette : les multiples hésitations de Parsifal, tout autant que les gestes de tendresse et d’apaisement envers elle, renforcent l’ambiguïté et finalement l’humanité de ce choix douloureux. Le vieillissement des adorateurs donne aussi une temporalité bienvenue, là aussi au bénéfice de l’humanisation du récit.
Si les intentions principales de la mise en scène sont bien mises en valeur par des images volontiers spectaculaires, on regrette toutefois des longueurs dans certaines scènes à la direction d’acteur trop répétitives (le « duo d’amour » au II, surtout), avec des chanteurs trop souvent au-devant du plateau, sans grande surprise. Cette solution a toutefois un avantage sonore évident, de même que l’idée de rétrécir la scène lors des expositions rituelles du Graal, permettant aux interprètes, dont le magnifique chœur d’hommes de l’Opéra de Paris, de bénéficier d’un confort de réverbération acoustique pour embrasser la vaste salle de la Bastille.
Le plateau vocal réuni, sans briller, donne beaucoup de plaisir tout du long, ne serait-ce que par son homogénéité. On aime ainsi le Gurnemanz tout de noblesse de Kwangchul Youn, aux phrasés solides, même s’il semble fatiguer quelque peu au III en se laissant couvrir par l’orchestre. A ses côtés, Simon O’Neill s’impose dans le rôle-titre par son aisance sur toute la tessiture, et ce malgré une émission resserrée dans l’aigu, ainsi qu’un médium insuffisamment projeté. C’est ce dernier point qui reste insuffisant chez Marina Prudenskaya, qui compose une Kundry vibrante de caractère, aux graves souverains. Tout occupé à sa douleur, Brian Mulligan (Amfortas) n’en oublie pas de déployer son beau timbre tout de résonance expressive, de même que Falk Struckmann (Klingsor) et sa noirceur bien articulée et sans excès – les deux hommes étant très applaudis en fin de représentation.
Peu connue du grand public, l’Australienne Simone Young donne le meilleur d’un Orchestre de l’Opéra national de Paris en grande forme, mais surprend par ses tempi corsetés, au service d’une lecture analytique, sans grandiloquence, ni pathos. On s’habitue peu à peu à ce parti-pris tout en discrétion, se laissant porter par la souplesse des amples ondulations, en une atmosphère souvent vaporeuse. Seule la scène des filles-fleurs, à la musique audacieuse dans ses verticalités, déçoit par son manque de rebond rythmique, mais d’autres parties sont heureusement plus réussies, notamment celles où les cloches apportent une modernité dissonante bien intégrée au discours musical.
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