Reportée en 2020 pour cause de pandémie, la Madame Butterfly 
imaginée par Fabio Ceresa est enfin reprise à Angers, Nantes, puis 
Rennes, avec pas moins de douze dates (dont une retransmission en 
simultané sur plusieurs grands écrans en Pays de la Loire et en 
Bretagne, le 16 juin). C’est là l’occasion de découvrir le travail tout 
en sobriété du metteur en scène italien, déjà présenté à Florence 
en 2015, qui concentre l’attention sur les protagonistes par son minimum
 d’effets visuels. Les décors et costumes d’époque, consensuels mais 
sans ostentation, nous plongent en un Japon fantasmé par les Européens 
au début du siècle dernier : tout au long du spectacle, Ceresa joue sur 
l’opposition entre la jetée en arrière‑scène, porteuse d’espoir, et 
l’agencement des panneaux coulissants de l’espace intérieur, de plus en 
plus restreints, à l’instar de l’horizon réduit de l’héroïne. Si on peut
 regretter l’absence complète d’éléments de décor, conduisant les 
chanteurs à s’étendre sur le sol à plusieurs reprises (y compris le 
Consul invité à boire le thé), on s’habitue peu à peu à ce parti pris 
minimaliste, magnifié autant par les éclairages, que la présence 
fantomatique et inquiétante de Suzuki. C’est bien vu de confier à la 
servante de Butterfly un rôle plus conséquent au I, annonciateur du 
drame à venir par son aura sinistre.
Anne‑Sophie Duprels donne à son incarnation du rôle‑titre une vérité 
dramatique ardente dès ses premières interventions, refusant toute 
fragilité ou naïveté. Cette conception donne à son personnage une force 
de caractère peu commune, notamment lors de ses joutes avec le Consul ou
 Goro, bien éloigné de l’apathie ou de la folie parfois suggérées au fur
 et à mesure de l’avancée du mélodrame. Bien projetée, la voix en pleine
 puissance s’embarrasse d’un léger vibrato, heureusement plus discret 
dans les parties apaisées. La chanteuse française, qui a souvent chanté 
ce rôle depuis le début de sa carrière,
 le partage ici en alternance avec Karah Son, de même qu’Angelo Villari 
et Sébastien Guèze pour Pinkerton. On est heureux de retrouver le ténor 
français en un répertoire qui lui convient parfaitement, à l’instar de 
ses nombreuses incarnations de Rodolfo dans La Bohème :
 légèrement assombri avec les années, son beau timbre garde un velouté 
et une souplesse d’articulation précieuse pour la diction. Seuls les 
changements de registre dans le suraigu laissent entendre une émission 
resserrée, le tout autour d’une puissance limitée, mais parfaitement en 
adéquation avec la jauge idéale du Grand‑Théâtre d’Angers (environ 
700 places), à l’excellente acoustique.
On retrouve à ses côtés l’un de ses anciens camarades de promotion du Conservatoire de Paris,
 en la personne de Marc Scoffoni (Sharpless) : la complicité entre les 
deux chanteurs nourrit la première partie d’ouvrage, et ce d’autant plus
 que Scoffoni impressionne par son autorité naturelle, portée par une 
voix solide dans les graves. On aime aussi grandement la superlative 
Suzuki de Manuela Custer, à la dignité bouleversante – le tout magnifié 
par des phrasés millimétrés de justesse. Outre l’impeccable Gregory 
Bonfatti, qui donne à son Goro le mélange de fourberie et de ridicule 
attendus, les seconds rôles emportent l’adhésion, à l’instar d’un Chœur 
d’Angers Nantes Opéra engagé. Il faut dire que toute cette équipe 
bénéficie du geste splendide d’équilibre et de finesse de Rudolf 
Piehlmayer, bien connu en Bretagne et Pays de la Loire (voir notamment Lohengrin en 2015 et Norma en en 2018
 à Rennes), qui n’a pas son pareil pour alléger les textures et faire 
ressortir les oppositions entre pupitres, le tout au service de la 
vision dramatique d’ensemble. On souhaite retrouver très vite dans nos 
contrées ce grand chef de théâtre, artisan décisif d’une soirée réussie,
 à juste titre fêtée par un chaleureux public angevin. 
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
dimanche 1 mai 2022
« Madame Butterfly » de Giacomo Puccini - Fabio Ceresa - Angers Nantes Opéra - Grand-Théâtre à Angers - 28/04/2022
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