Avec
sa thématique de saison consacrée à la « génération perdue » de
l’entre‑deux‑guerres, le Philharmonique de Berlin et son directeur
musical Kirill Petrenko rendent hommage aux compositeurs dont le destin a
été durablement brisé par le régime nazi, au péril de leur vie pour
certains d’entre eux (dont Erwin Schulhoff, mort dans le camp
d’internement de Wülzburg). On le sait, la fin de la guerre ne permit
pas à toutes ces injustices d’être réparées, de nombreux artistes
restant oubliés pour de nombreuses années, avant de conquérir une
notoriété tardive avec la fameuse collection discographique « Musique
dégénérée », éditée par Decca dans les années 1990.
Parmi la trentaine de disques de la série, Erwin Schulhoff (1894‑1942)
s’en est vu réserver deux, tout particulièrement pour son remarquable
opéra Flammen (1929). On peut également rappeler que la Cité de
la musique s’est aussi illustrée à l’occasion des concerts organisés
autour de l’exposition « Le Troisième Reich et la musique » en 2004.
C’est davantage en symphoniste que Schulhoff s’est illustré
régulièrement tout au long de sa carrière, embrassant plusieurs styles
avec bonheur, ce dont s’est opportunément souvenu le Philharmonique de
Berlin.
Le choix de la Deuxième Symphonie (1932), à la fantaisie lumineuse proche de Première Symphonie « Classique »
(1918) de Prokofiev, démontre combien un tel ouvrage mériterait de
figurer régulièrement au programme des concerts. On retrouve un effectif
orchestral réduit pour ce petit bijou de verve savoureuse, enflammé par
le geste de Kirill Petrenko. Le chef russo‑autrichien imprime des tempi
d’une urgence irrésistible, avant de s’apaiser dans le mouvement lent
qui joue davantage sur les ambiguïtés tonales, à la manière de
Hindemith. Les influences jazzy du Scherzo qui suit surprennent en
mettant en avant saxophone et trompette, avec des cordes qui assurent
une rythmique sautillante en arrière‑plan. Le souffle dansant donne
littéralement envie de se soulever de son siège, mais c’est peut‑être
plus encore le début inoubliable du dernier mouvement, avec ses coups
martelés et répétés tout du long, qui reste dans les têtes bien après
l’écoute.
Lise Davidsen |
Après cette courte mise en bouche, Petrenko rend un hommage encore plus
bref à Leone Sinigaglia (1868‑1944), avec deux délicieuses pièces pour
violon et orchestre d’à peine cinq minutes chacune. Le langage peu
novateur de cet ancien élève de Dvorák, proche du romantisme finissant,
fait la part belle à la mélodie, sans jamais tomber dans le lyrisme. Les
superbes sonorités du violon de l’Américain Noah Bendix‑Balgley (né en
1984) s’épanouissent dans la Romance en la (1906) avec des phrasés d’une belle sensibilité, qui respirent d’une lumière sereine. D’abord plus affirmée et verticale, la Rhapsodie piémontaise
(1904) s’apaise peu à peu, bénéficiant de l’archet tout de clarté de
Bendix‑Balgley, qui fait ressortir quelques parties plus humoristiques
en ralentissant opportunément le tempo par endroits.
Après l’entracte, la plus connue Symphonie lyrique (1924) de
Zemlinsky (1871‑1942), chef‑d’œuvre de son auteur, fait résonner la
salle de tous les effets de masse spectaculaires, convoqués au début
notamment. D’une grande lisibilité, les phrasés de Petrenko détaillent
les oppositions entre pupitres sans aucun maniérisme, étageant les
éclats orchestraux, épargnés de toute brutalité. Sa capacité à lier les
brusques changements d’atmosphère, comme des vagues qui submergent
l’auditeur, est un régal constant, porté par un orchestre en grande
forme. Lise Davidsen fait valoir quant à elle un velouté de timbre
superlatif, de même qu’une projection éclatante lorsque la voix est en
pleine puissance. Son agilité dans le medium lui vaut des
applaudissements nourris en fin de représentation, à l’instar de
Christian Gerhaher. L’Allemand fait une fois encore l’étalage de sa
grande classe vocale, en maître de l’articulation et de la diction,
toujours au service du sens. Du grand art, vivement applaudi par le
public comme le chef, manifestement ravis.
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