jeudi 2 juin 2022

« Hulda » de César Franck - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 01/06/2022

Les célébrations autour du bicentenaire de la naissance de César Franck (1822-1890) se poursuivent avec le concours toujours aussi précieux du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française, qui outre les concerts et disques produits récemment a organisé plusieurs conférences passionnantes, dont « La musique de chambre de César Franck : 1850-1918 » en décembre dernier ou « Un Belge à Paris. César Franck entre sacré et mondain », le 7 avril 2022. Le point d’orgue de ces célébrations reste toutefois la résurrection du chef d’œuvre lyrique méconnu Hulda (1885), entièrement composé et orchestré de la main du maître franco-liégeois, contrairement à son dernier opus lyrique Ghiselle (1890), dont l’orchestration a été achevée par ses élèves (notamment Vincent d’Indy).

Déjà donnée dans la ville natale du compositeur, à Liège le 15 mai dernier, Hulda évoque Wagner par le choix d’une légende scandinave : la comparaison s’arrête là, tant le langage de Franck prend un tour immédiatement personnel, et ce dès les premières notes de l’ouvrage. A la manière de l’entrée saisissante de Riders to the Sea (1937) de Vaughan-Williams, Franck nous plonge d’emblée dans les méandres du drame, autour d’une musique hautement dramatique. Sa musique fourmille d’inventions harmoniques passionnantes, où l’orchestre a le premier rôle : on a parfois l’impression d’entendre une vaste symphonie avec voix, tant la déclamation du texte prend place en une sorte d’arioso en continu, mêlé de quelques airs et ensembles de bravoure savamment dosés. La principale faiblesse de l’ouvrage est certainement de n’avoir pas su sabrer dans l’avalanche de mots du livret poético-naïf de Charles Grandmougin (également librettiste de l’oratorio La Vierge de Massenet), qui peine aussi à caractériser ses personnages, beaucoup trop nombreux. L’ouvrage étonne par ses parenthèses panthéistes élégiaques (Odes à la nature, avec le chœur féminin de l’hermine au I, ou au printemps, au III) qui ralentissent l’action, pour mieux l’accélérer ensuite, notamment lors du rocambolesque dernier acte où trahisons et meurtres se succèdent en un rien de temps.

Gergely Madaras
Pour autant, César Franck se saisit avec un brio admirable de ces scènes très différenciées de ton, passant de l’étourdissement rythmique du ballet au II (le ballet étant le seul élément extrait de l’ouvrage qui a remporté un certain succès autonome) à la raréfaction chambriste au début du III, empruntant force musiques populaires pour figurer une ambiance villageoise. Franck n’en oublie pas les passages martiaux, évidemment plus cuivrés et articulés, en contraste avec la grandeur plus raide des fanfares royales, au III. On note encore plusieurs trouvailles originales dans l’écriture orchestrale, rappelant souvent Meyerbeer, tel le chœur avec basson et saxophone accompagnés au I, ou encore la surprenante entrée des trois frères en lignes vocales superposées, qui les ridiculisent d’emblée face à leur père. Enfin, le chœur apparait souvent comme un commentateur de l’action, à la manière d’une tragédie grecque. A cet effet, il faut rendre hommage à la prestation du Chœur de chambre de Namur, toujours aussi impressionnant de justesse dans son mélange de précision technique et de ferveur enthousiaste.

A tête d’un remarquable Orchestre philharmonique de Liège (jadis dirigé par Louis Langrée, Pascal Rophé ou encore François-Xavier Roth), Gergely Madaras se saisit de cette musique virevoltante avec un sens de l’urgence et de la tension parfaitement maitrisé, imposant une direction flamboyante tout du long. Très applaudi à l’issue du spectacle, le jeune chef hongrois de 38 ans n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, de même que le plateau vocal de haut niveau réuni pour l’occasion. On ne peut ainsi que se féliciter du choix de Jennifer Holloway, tant son investissement dramatique confère à Hulda une présence saisissante sur la durée, donnant autant d’attention à l’articulation qu’à la nécessaire prononciation – sans parler de la technique vocale superlative sur toute la tessiture, y compris lors des passages très tendus. On aime aussi son sens des nuances, à l’instar d’une Judith van Wanroij (Swanhilde) toujours aussi investie dramatiquement, qui séduit aussi par la beauté intacte de son timbre. A ses côtés, Véronique Gens (Gudrun) donne une nouvelle leçon de grâce par la souplesse de ses phrasés, même si on note quelques légers décalages avec l’orchestre, en première partie. A ses côtés, Marie Gautrot (La Mère de Hulda, Halgerde) et Ludivine Gombert (Thordis) impressionnent par leur puissance aussi agile que maitrisée, au service d’une composition très engagée. C’est également l’un des points forts de Matthieu Lécroart (Gudleik), d’une précision redoutable dans l’articulation et le placement de voix, à l’instar du toujours impeccable Guilhem Worms (Thrond) et des seconds rôles, très bien distribués. On est plus déçu en revanche par le choix d’Edgaras Montvidas (Eiolf), qui surjoue trop souvent l’incarnation mélodramatique, avec une émission étroite dans le suraigu. Sa puissance limitée, en comparaison de ses partenaires féminines, ne l’aide pas davantage.

Avec Phryné de Saint-Saëns, une autre rareté promue par les équipes du Palazzetto Bru Zane est à ne pas manquer, cette fois à l’Opéra-Comique et pour une unique date, le samedi 11 juin prochain (places de 6 à 65€). Le disque très réussi, sorti en début d’année, ne peut que vous inciter à découvrir ce petit bijou de malice et d’ivresse rythmique pétillante – à mille lieux du flot dramatique et éloquent de Hulda (dont la présente production fera l’objet d’un enregistrement au sein de la collection “Opéra français” / Palazzetto Bru Zane).

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