Désormais incontournable sur les plus grandes scènes lyriques
européennes, Damiano Michieletto souffle pourtant le chaud et le froid,
avec plusieurs réussites majeures (notamment son percutant Orphée et Eurydice, présenté au Komische Oper en début d’année) et quelques déceptions, comme cette Jenůfa
en manque d’idées pour convaincre sur toute la durée du spectacle.
Comme souvent, le metteur en scène italien impressionne au niveau visuel
par la mise en avant d’une idée forte, ici représentée par un iceberg
renversé qui finit par envahir le centre de la scène et faire fondre
littéralement une partie du plancher. Outre la représentation symbolique
des angoisses de Kostelnicka, cernée par les remords, cet iceberg
évoque l’inaptitude des personnages à communiquer entre eux, prisonniers
qu’ils sont du rôle que les codes sociaux villageois tendent à leur
imposer. Malheureusement, malgré un travail toujours aussi diversifié
sur les éclairages, la direction d’acteur paresseuse peine à animer le
plateau d’une vitalité souvent absente, notamment lors des scènes de
groupe. On regrette surtout le choix de faire chanter le chœur en
coulisse au I, alors qu’une poignée de figurants renouvelle les rares
éléments de décor (plusieurs bancs réagencés géométriquement au gré de
l’action).
Face à cette proposition minimaliste et essentiellement visuelle, le
plateau vocal réuni reçoit une ovation enthousiaste en fin de
représentation. Remplaçante de dernière minute suite au retrait d’Evelyn
Herlitzius, Dalia Schaechter (familière du rôle qu’elle a notamment
chanté à Wiesbaden en 2018)
donne à sa Kostelnicka une interprétation vibrante de caractère, mais
ne peut toutefois faire oublier un timbre usé jusqu’à la corde, sans
parler de l’aigu trop étranglé. On lui préfère grandement la Grand‑mère
Buryja plus chantante de Hanna Schwarz (elle aussi habituée du rôle,
notamment à Genève en 2012),
qui malgré une justesse relative dans le suraigu, de même qu’un vibrato
prononcé, porte son chant puissant d’une belle noblesse de ligne.
L’interprétation de Jenůfa par Asmik Grigorian déçoit, avec des phrasés
sans âme, mais elle se rattrape par sa belle aisance sur toute la
tessiture, tout comme une rondeur d’émission délicieusement veloutée.
Malgré des difficultés dans l’aigu, tendu en première partie, Stephan
Rügamer (Laca) est plus à l’aise au niveau théâtral, tandis que le beau
timbre de Alexey Dolgov (Steva) ne peut faire oublier sa projection
globalement insuffisante.
Outre un chœur superlatif, le plaisir vient surtout du surprenant Thomas Guggeis, jeune chef allemand de seulement 29 ans, que Toulouse
et Paris ont déjà pu entendre. Il opte pour des tempi très retenus tout
du long : on s’habitue peu à peu à cette lenteur habitée par un sens du
rebond très souple, portée par une attention millimétrée aux nuances.
Si les parties folkloriques apparaissent un rien trop lisses, on aime
toutefois ce geste tout en sobriété et en raffinement, qui donne
beaucoup avec très peu d’effets. Assurément un chef à suivre, notamment
dans le répertoire de la fin du XIXe siècle, où sa lecture distanciée devrait éviter tout pompiérisme.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
dimanche 12 juin 2022
« Jenůfa » de Leos Janácek - Damiano Michieletto - Staatsoper à Berlin - 10/06/2022
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire