mardi 14 juin 2022

« La Fille du Far West » de Giacomo Puccini - Lydia Steier - Staatsoper à Berlin - 12/06/2022

Trop rare en France (si ce n'est en 2014 à Bastille), La Fille du Far West (1910) de Puccini a davantage les faveurs de la scène outre‑Rhin, comme le prouve la reprise de ce spectacle créé en 2021 au Staatsoper. Ce n’est là que justice, tant la production imaginée par l’Américaine Lydia Steier donne une profondeur inattendue à cet ouvrage inégal, en déconstruisant peu à peu les codes trop réalistes du mélodrame : si le début peut prêter à sourire avec son décor propret de cinéma en carton‑pâte, tout comme ses cowboys bling‑bling aux tenues parsemées d’étonnantes diodes roses clignotantes (!), on comprend rapidement que ce kitsch assumé veut nous faire prendre de la distance avec le récit, en multipliant les sous‑textes interprétatifs. La présence omniprésente et énigmatique d’un jeune garçon incite ainsi à mesurer d’emblée toute la violence de ce monde d’hommes, que certains affrontent vaillamment (Minnie), tandis que d’autres la fuient ostensiblement (les deux serviteurs indiens qui s’ébattent en arrière‑scène).

Pleine de vie, la direction d’acteur n’en fait jamais trop, avant de surprendre au II par la réduction de la scène en une minuscule chambre de maison de poupée, qui finit par se refermer sur les interprètes tel un cercueil – saisissante image qui conclut l’acte. L’idée force de la mise en scène est plus encore d’avoir soigné la transition entre le deuxième acte (sommet de l’ouvrage par l’affrontement abrupt et étouffant entre Minnie et Jack) et l’épilogue final, plus faible dans son inspiration musicale : orchestre et chanteurs se taisent pour laisser libre cours aux menaces nocturnes d’une tempête déchaînée, magnifiée par des images vidéo dignes des cauchemars hypnotiques de David Lynch (on pense surtout à Lost Highway). Face aux éléments, le cowboy est avant tout un loup solitaire, qui ne peut compter que sur lui‑même. Dès lors, le III prend place en des décors ravagés, en phase avec la brutalité de l’hystérie collective vengeresse, tandis que Minnie gagne une audacieuse figure christique dans sa capacité à convaincre la foule à son avantage (ce qui avait déjà été suggéré au I, en un bref et inattendu clin d’œil protecteur de la Vierge, lors du coucher de soleil).


On reste bluffé tout du long par le mélange d’audace et d’intelligence de cette mise en scène passionnante, par ailleurs dotée d’un plateau vocal de haut niveau. Chaleureusement applaudi à l’issue du spectacle, le trio vocal principal de ce mélodrame trouve en Anja Kampe une Minnie sidérante d’engagement physique, toujours vaillante face aux difficultés vocales. Si l’effort est parfois audible dans le suraigu, la ligne de chant sculpte chaque mot au service du sens, en une précision redoutable au niveau de l’articulation. A ses côtés, malgré un timbre un peu fatigué, Michael Volle (Jack Rance) impose son autorité naturelle, opportunément sombre dans ses intentions dramatiques, tout en impressionnant par le mordant de sa tenue de note, de même que le tranchant de ses attaques. On est à mille lieux de la technique de Marcelo Alvarez (Dick Johnson), qui joue davantage de la rondeur d’émission et de la séduction de son timbre, avec un volume plus limité. On regrette toutefois des qualités de jeu moindres par rapport à ses partenaires, notamment une gestuelle envahissante et peu naturelle au I. Quoi qu’il en soit, le ténor mexicain assure l’essentiel, de même que les excellents seconds rôles réunis pour l’occasion (truculent Nick de Stephan Rügamer). Très sollicités, les chœurs masculins montrent des qualités bienvenues d’engagement et de cohésion, à l’image du geste très équilibré de Massimo Zanetti, grand chef de théâtre. Tout en offrant le meilleur d’une Staatskapelle de Berlin en grande forme, le chef italien donne ses lettres de noblesse à l’ouvrage par son attention de tous les instants à ne pas surjouer le mélodrame, notamment dans le volume sonore des tutti.

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