Trop rare en France (si ce n'est en 2014 à Bastille), La Fille du Far West (1910) de Puccini a davantage les faveurs de la scène outre‑Rhin, comme le prouve la reprise de ce spectacle créé en 2021 au Staatsoper.
Ce n’est là que justice, tant la production imaginée par l’Américaine
Lydia Steier donne une profondeur inattendue à cet ouvrage inégal, en
déconstruisant peu à peu les codes trop réalistes du mélodrame : si le
début peut prêter à sourire avec son décor propret de cinéma en
carton‑pâte, tout comme ses cowboys bling‑bling aux tenues parsemées
d’étonnantes diodes roses clignotantes (!), on comprend rapidement que
ce kitsch assumé veut nous faire prendre de la distance avec le récit,
en multipliant les sous‑textes interprétatifs. La présence omniprésente
et énigmatique d’un jeune garçon incite ainsi à mesurer d’emblée toute
la violence de ce monde d’hommes, que certains affrontent vaillamment
(Minnie), tandis que d’autres la fuient ostensiblement (les deux
serviteurs indiens qui s’ébattent en arrière‑scène).
Pleine de vie, la direction d’acteur n’en fait jamais trop, avant de
surprendre au II par la réduction de la scène en une minuscule chambre
de maison de poupée, qui finit par se refermer sur les interprètes tel
un cercueil – saisissante image qui conclut l’acte. L’idée force de la
mise en scène est plus encore d’avoir soigné la transition entre le
deuxième acte (sommet de l’ouvrage par l’affrontement abrupt et
étouffant entre Minnie et Jack) et l’épilogue final, plus faible dans
son inspiration musicale : orchestre et chanteurs se taisent pour
laisser libre cours aux menaces nocturnes d’une tempête déchaînée,
magnifiée par des images vidéo dignes des cauchemars hypnotiques de
David Lynch (on pense surtout à Lost Highway). Face aux éléments,
le cowboy est avant tout un loup solitaire, qui ne peut compter que sur
lui‑même. Dès lors, le III prend place en des décors ravagés, en phase
avec la brutalité de l’hystérie collective vengeresse, tandis que Minnie
gagne une audacieuse figure christique dans sa capacité à convaincre la
foule à son avantage (ce qui avait déjà été suggéré au I, en un bref et
inattendu clin d’œil protecteur de la Vierge, lors du coucher de
soleil).
On reste bluffé tout du long par le mélange d’audace et d’intelligence
de cette mise en scène passionnante, par ailleurs dotée d’un plateau
vocal de haut niveau. Chaleureusement applaudi à l’issue du spectacle,
le trio vocal principal de ce mélodrame trouve en Anja Kampe une Minnie
sidérante d’engagement physique, toujours vaillante face aux difficultés
vocales. Si l’effort est parfois audible dans le suraigu, la ligne de
chant sculpte chaque mot au service du sens, en une précision redoutable
au niveau de l’articulation. A ses côtés, malgré un timbre un peu
fatigué, Michael Volle (Jack Rance) impose son autorité naturelle,
opportunément sombre dans ses intentions dramatiques, tout en
impressionnant par le mordant de sa tenue de note, de même que le
tranchant de ses attaques. On est à mille lieux de la technique de
Marcelo Alvarez (Dick Johnson), qui joue davantage de la rondeur
d’émission et de la séduction de son timbre, avec un volume plus limité.
On regrette toutefois des qualités de jeu moindres par rapport à ses
partenaires, notamment une gestuelle envahissante et peu naturelle au I.
Quoi qu’il en soit, le ténor mexicain assure l’essentiel, de même que
les excellents seconds rôles réunis pour l’occasion (truculent Nick de
Stephan Rügamer). Très sollicités, les chœurs masculins montrent des
qualités bienvenues d’engagement et de cohésion, à l’image du geste très
équilibré de Massimo Zanetti, grand chef de théâtre. Tout en offrant le
meilleur d’une Staatskapelle de Berlin en grande forme, le chef italien
donne ses lettres de noblesse à l’ouvrage par son attention de tous les
instants à ne pas surjouer le mélodrame, notamment dans le volume
sonore des tutti.
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