Depuis plusieurs années, le Deutsche Oper tente de se démarquer
de ses concurrents par l’audace de sa programmation, dont le disque et
le DVD conservent le plus souvent la mémoire, grâce au partenariat avec
les éditeurs CPO ou Arthaus, notamment. On pense ainsi aux raretés exhumées de Respighi (Marie Victoire), Meyerbeer (Vasco de Gama ou Dinorah), Orff (Gisei), Weingartner (L'Ecole du village) ou plus récemment Langgaard (Antikrist, qui sera repris l’an prochain) – excusez du peu !
Cette année, le Deutsche Oper s’est opportunément souvenu que la création berlinoise du Chercheur de trésors
de Franz Schreker (1878‑1934) avait eu lieu voilà cent ans tout juste,
dans la foulée des premières représentations données à Francfort, en
1920. Alors au fait de sa notoriété, aussi bien en termes de prestige
académique (nomination à la tête du Conservatoire de Berlin) que de
compositeur (triomphe récent des Stigmatisés), l’Autrichien
remporte là son dernier grand succès public, avant que sa musique ne
passe de mode. Si un outsider est à nouveau placé au centre du livret (à
l’instar des Stigmatisés, mais également du Nain de
Zemlinsky), avec le rôle trouble du fou du Roi, Schreker surprend par
une musique résolument solaire et optimiste, à mille lieux des horreurs
du premier conflit mondial finissant. Comme à son habitude, les talents
d’orchestrateur du grand rival de Richard Strauss permettent de se
régaler d’une myriade de couleurs expressives, à l’inspiration musicale
admirablement variée.
Il est dommage que le chef allemand Marc Albrecht (né en 1964), pourtant
spécialiste de cet ouvrage qu’il a déjà dirigé à Amsterdam en 2012, ne
donne pas davantage de respiration à sa battue, privilégiant musique
pure et déflagrations spectaculaires, trop éloignées du théâtre et de
ses interprètes, souvent en difficulté pour tenir le rythme. C’est
particulièrement audible dans les passages verticaux, dont on peine à
démêler l’enchevêtrement si savant de Schreker, ici expédié en un geste
péremptoire. Les parties apaisées trouvent en Albrecht un chef
heureusement plus attentif à ses chanteurs, désormais partie intégrante
du discours musical d’ensemble. Ce déséquilibre reste d’autant plus
regrettable que l’excellent Orchestre du Deutsche Oper brille de mille feux, sans doute stimulé par cette musique haute en couleur.
Daniel Johansson et Elisabet Strid |
La distribution est dominée par l’Els tranchante et percutante
d’Elisabet Strid, très investie dramatiquement, dont on se régale de
l’émission souple et agile sur toute la tessiture. A ses côtés, Daniel
Johansson (Elis) fait valoir un beau timbre, mais insuffisamment
projeté – à l’instar de Tuomas Pursio (Le Roi), qui compense par sa
belle ligne de chant. On leur préfère le plus expressif du Fou de
Michael Laurenz, dont la démesure vocale trouve une technique très sure.
Très applaudi, le Bailli de Thomas Johannes Mayer aurait toutefois
gagné à davantage de noirceur et de puissance, mais assure toutefois
l’essentiel.
Cette production sera donnée à l’Opéra national du Rhin, du 28 octobre
au 29 novembre prochains, avec des interprètes différents. Ce sera
l’occasion de découvrir pour la première fois en France cet ouvrage,
dans la mise en scène de Christof Loy, qui s’illustre à nouveau avec
Schreker après son réussi Son lointain, présenté à Stockholm en 2019.
Son travail semble cette fois moins abouti du fait de partis pris
radicaux (notamment un décor unique pendant toute la représentation),
qui plombent le spectacle sur la durée. Trop répétitive, la direction
d’acteur a du mal à faire sens, tandis que la faible différenciation de
l’aspect des personnages n’aide pas davantage à saisir les enjeux.
L’idée principale de Christof Loy consiste en effet à enfermer ses
personnages en un huis clos vénéneux, en transposant l’action en une
sauterie nazie volontiers décadente. Exit le Moyen Age et le
merveilleux, il faut tenter de démêler le vrai du faux de l’imbroglio
psychologique ici à l’œuvre, le Fou devenant un anticonformiste qui
refuse le sexe facile, tandis qu’Els est une servante qui tire les
ficelles en coulisse, en mal de reconnaissance. Un parti pris
intéressant, mais trop pauvre visuellement pour capter la concentration
de l’auditoire sur la durée. Dommage.
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