Après L‘Affaire Makropoulos en 2020, puis Jenufa l’an passé, l’Opéra de Genève poursuit l’exploration du legs lyrique de Leos Janacek, encore largement méconnu du grand public. Ainsi de Katia Kabanova (1921), qui adapte la pièce L’Orage (1859) d’Alexandre Ostrovski, dont l’histoire rappelle celle de Madame Bovary. Pilier du répertoire en Russie, cette pièce reste peu donnée sous nos contrées, même si Denis Podalydès en présentera une production très attendue l’an prochain, aux Bouffes du Nord à Paris et en tournée dans toute la France. En attendant, il faut courir découvrir l’adaptation qu’en fit Janacek, en resserrant l’action autour des tourments de l’héroïne. C’est là en effet l’un des chefs d’oeuvre du compositeur tchèque, qui fut inspiré par l’histoire oppressante d’une femme prise dans l’étau de l’hypocrisie des conventions sociales, lui rappelant sa propre relation obsessionnelle et impossible avec Kamila Stösslová, mariée tout comme lui.
Tout amoureux de l’orchestre ne voudra pas se priver de ce bijou de raffinement à l’orchestration portée par des bois aériens, où Janacek fait l’étalage de ses courts motifs mouvants et ductils, toujours au service de son sens dramatique affirmé : très affutée, la direction de Tomas Netopil est une merveille de bout en bout, allégeant les textures au service de tempi allants, mais jamais précipités. On aime aussi l’attention à bien différencier les climats, faisant ressortir toutes les spécificités des caractères en présence. Déjà applaudie l’an passé en Jenufa, Corrine Winters donne une composition saisissante dans le rôle-titre, offrant un mélange de fragilité et de force, en lien avec les intentions de la mise en scène de Tatjana Gürbaca. Sa voix chaude et bien projetée donne beaucoup de satisfactions, malgré quelques rudesses dans l’aigu. A ses côtés, la fraicheur de timbre rayonnante d’Ena Pongrac (Varvara) permet de bien figurer ce rôle, sorte de double positif de Katia, qui choisit de fuir le village corseté pour affronter la vie. Que dire, aussi, du toujours parfait Ales Briscein (Boris), qui n’a pas son pareil pour porter haut sa voix éloquente et son émission claire ? Quelle présence, encore, chez Tomas Tomasson, idéal de morgue et de brutalité en Dikoj, tandis que Magnus Vigilius est un Tichon de luxe, à l’émission sonore et parfaitement placée. Malgré quelques positionnements de voix un peu raides, Elena Zhidkova impressionne tout autant en belle-mère Kabanicha, à force de composition aussi lunaire que vénéneuse.
On pense plusieurs fois aux huis clos étouffants d’un Fassbinder ou d’un
Ozon (surtout le film Huit Femmes) avec la proposition scénique très
stylisée de Tatjana Gürbaca : souvent figés et éloignés
les uns des autres en un ballet millimétré, les personnages évoluent
dans un espace réduit, qui sert autant de caisse de résonance sonore
(offrant un merveilleux confort acoustique aux interprètes) que de
symbole de leur horizon social réduit. L’attention à la direction
d’acteurs constitue le grand point fort de cette mise en scène toujours
juste, même si l’on peut être surpris par certains partis-pris, montrant
une Katia plus rebelle et provocatrice qu’attendu, de même qu’un couple
Kabanicha-Dikoj plus trivial que jamais. De quoi animer cet opéra assez
bref (environ 1h30) d’une constante vitalité sur le plateau, toujours
en lien avec les moindres intentions musicales. Une réussite à ne pas
manquer, à voir jusqu’au 1er novembre dans la belle cité genevoise.
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