Kristian Sallinen |
Deux jours après avoir entendu l’Orchestre de la Radio finlandaise (voir ici)
dans la même salle de la Maison de la musique, place cette fois à
l’autre orchestre prestigieux en résidence dans la capitale, l’Orchestre
philharmonique d’Helsinki. On retrouve au programme un florilège de
musique finlandaise cette fois moins tourné vers le répertoire
contemporain, si l’on excepte la création mondiale d’Engrams de
Jouni Hirvelä (né en 1982), donnée en ouverture de concert. Dans la
salle, on aperçoit sa jeune compatriote Lara Poe, dont on avait pu
entendre l’une des partitions vendredi. Avec Jouni Hirvelä,
l’inspiration semble plus narrative, puisque le compositeur indique dans
le programme avoir voulu rendre hommage à Leevi Madetoja (1887‑1947),
qui souffrit de problèmes de mémoire en fin de vie. Une anecdote fameuse
raconte ainsi que le compositeur se fit voler le manuscrit de sa Quatrième Symphonie
à Paris, affirmant ensuite ne plus être en capacité de la retranscrire,
ce qui nous fit perdre à jamais la possibilité de découvrir cet
ouvrage.
La pièce symphonique Engrams débute par des effets de souffle inhabituels aux cuivres, imprimant ainsi une atmosphère minimaliste dans les piani,
seulement interrompue par de brèves scansions. Le début statique et
répétitif s’anime peu à peu, en quittant les rives morbides pour
préférer des interventions soyeuses aux cordes. Les transitions
envoûtantes donnent beaucoup de plaisir à l’ensemble, toujours très
fluide. Après une courte emphase, la fin hypnotique nous replonge dans
les effets pointillistes du début. Le compositeur vient se faite
applaudir sur scène, en recevant une accolade chaleureuse de la part du
chef d’orchestre Kristian Sallinen (23 ans).
Le concert se poursuit en mettant à l’honneur deux pages d’Aarre
Merikanto (1893‑1958), un compositeur exigeant qui détruisit
malheureusement un grand nombre de ses partitions, à l’instar des
Français Duparc et Dukas, notamment. Sonnet d’automne (1922) fait
entendre un petit bijou sombre tout en intériorité, qui flirte
plusieurs fois avec l’atonalité. Le langage volontiers néoromantique de Savannah‑la‑Mar
(1915) peut surprendre au premier abord, puisque seulement sept ans
séparent les deux ouvrages. L’entrecroisement des courts motifs entre
les pupitres est un régal, dont Kristian Sallinen fait son miel sans
ostentation, en un geste tout de transparence agile. La partie vocale se
fait plus exigeante pour la soprano Anu Komsi, qui se joue toutefois
des difficultés avec une belle maîtrise.
Anu Komsi |
Après l’entracte, les extraits de Pan (1935) de Heidi
Sundblad‑Halme (1903‑1973), « Pan et les bergers » et « Pan joue », ne
se situent malheureusement pas au même niveau d’inspiration, tant la
compositrice s’enferme dans une joute finalement ennuyeuse de virtuosité
creuse, en sollicitant à l’excès les vocalises de la soprano face à la
flûte solo. L’orchestre n’a finalement qu’un rôle limité, pour ces
courtes pièces, qui s’apparentent davantage à de la musique de chambre.
La Deuxième Symphonie (1918) de Madetoja constitue un plat de
résistance autrement plus consistant, opportunément programmé en même
temps que son premier opéra, Les Ostrobotniens, donné jusqu’au 4 janvier prochain
dans la capitale finlandaise. Le langage symphonique des deux ouvrages
est proche, aussi bien dans la finesse d’orchestration que le souffle
mélodique, rappelant plusieurs fois l’irrésistible élan sibélien.
Le début inoubliable de la symphonie laisse flotter un air de
nonchalance heureuse et bienveillante, rapidement troublé par quelques
brèves menaces aux cuivres. Kristian Sallinen met un peu de temps à
chauffer l’orchestre pour rendre justice à la mécanique de précision
nécessitée par l’orchestration de Madetoja, dont les mélodies parcourent
tous les pupitres en un brio aérien. L’interprétation chambriste
délaisse les aspects sombres en appuyant peu les attaques, si ce n’est
dans les tutti, plus marqués. Le manque d’électricité aux premiers
violons, comme l’indifférence expressive des cors, donnent
malheureusement peu de relief aux atmosphères volontiers mouvantes et
mystérieuses de Madetoja. Le deuxième mouvement se montre plus réussi,
avec les solos tour à tour contemplatifs et interrogatifs du hautbois et
du cor en coulisse, comme une double complainte pudique. La mélodie se
déploie peu à peu avec l’aide des vents et des contrebasses en sourdine,
tandis que les premiers violons dévoilent un thème splendide d’ivresse
radieuse, avant une conclusion à nouveau rêveuse et minimaliste.
Le dernier mouvement détonne en comparaison par ses verticalités
rageuses et péremptoires, presque sauvages par endroits. Un thème plus
entrainant est ensuite lancé par les bassons, puis les cors, avant
l’avènement d’un climax en forme d’apothéose, qui fait croire à une
conclusion épique. Il n’en est rien, tant Madetoja touche au cœur dans
les dernières mesures en installant un climat d’apaisement, seulement
rythmé par les scansions des cors. On croit entendre des battements de
cœur, en lutte pour grappiller quelques ultimes sursauts de vie.
Etait‑ce là, pour Madetoja, un moyen de rendre un ultime hommage à son
frère, récemment disparu dans le conflit de la Première Guerre
mondiale ? Toujours est‑il que cette symphonie, dont le succès ne s’est
jamais démenti, est restée l’une des plus chéries par le compositeur,
tout au long de sa vie. Il la dédiera finalement sur le tard à sa mère,
après son décès.
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