lundi 23 décembre 2024

« Sita » de Gustav Holst - Jakob Peters‑Messer - Opéra de Sarrebruck - 21/12/2024

Hormis le succès international Les Planètes (1917), la musique de Gustav Holst reste peu jouée en dehors du Royaume‑Uni, à l’instar de celle de son ami et contemporain Vaughan Williams, trop rare dans nos contrées. L’initiative du Théâtre de la Sarre est donc à saluer d’une pierre blanche, puisqu’elle a pris le risque de présenter en première mondiale l’ouvrage le plus ambitieux du début de la carrière de Holst, Sita (1906).

Cet opéra en trois actes, d’une durée d’un peu moins de trois heures, appartient à la période « indienne » du compositeur, qui nourrit son inspiration pendant plus de quinze ans avec des formes variées, de l’opéra de chambre en un acte Savitri jusqu’à l’échec de la cantate Le Nuage messager (voir l’excellent disque du Chœur du King’s College, paru en 2020). Le travail acharné sur Sita occupe Holst pendant sept ans, entre la rédaction du livret et les retouches apportées jusqu’à la dernière minute à la partition, avec l’aide de Vaughan Williams. Le rêve d’une création est finalement brisé par la deuxième place obtenue au Prix Ricordi, alors que son ancien professeur Charles Villiers Stanford fait pourtant parti du jury. Jugée à juste titre trop wagnérienne, la partition reste enfouie dans les archives du compositeur, sans être exhumée par sa fille, Imogen, l’une de ses biographes.

Souvent proche des parties les plus spectaculaires du Ring, notamment dans le soutien cuivré omniprésent, l’orchestration fait valoir tout du long des qualités admirables de souplesse et de transparence, déjà prisées par Holst. Si le I peut décevoir par son action trop statique, les deux actes suivants deviennent de plus en plus haletants, jusqu’à l’affrontement final entre les deux ennemis jurés Rama et Ravana, qui se disputent la belle Sita. Parmi les grands moments de la soirée, Holst se distingue dans l’écriture diaphane pour les chœurs (une de ses spécialités par la suite) ou dans l’étonnant ostinato qui marque la construction du pont au III, très moderne dans l’entrecroisement virtuose des différents motifs.

La partition refuse toute concession à l’orientalisme au niveau musical, à rebours de l’inspiration choisie pour le livret : celui‑ci raconte une partie de l’épopée de Rama, l’un des avatars humains du dieu Vishnou, dont l’épouse Sita a été enlevée par son ennemi Ravana. Fille de la Terre, Sita incarne la droiture inflexible, dont l’époux ne doit jamais douter de la fidélité, sous peine de la perdre définitivement. Si on peut aujourd’hui reprocher à ce récit son biais patriarcal, force est de lui reconnaître une fin originale, qui s’incarne non pas dans le sacrifice suicidaire de Sita (comme la légende le promeut), mais dans une étonnante affirmation d’indépendance, loin de son époux suppliant. Dès lors, Rama apprend son essence divine de la bouche de la Terre, qui le prend sous son aile, comme pour le consoler de la perte de son épouse.

L’exécution musicale donne beaucoup de plaisir tout du long, du fait de l’homogénéité des chanteurs réunis, tous issus de la troupe du Théâtre de Sarrebruck, à l’exception notable du rôle de Rama : suite à la défection de dernière minute de Peter Schöne, malade mais présent pour interpréter le rôle sur scène, Simon Bailey lui prête sa voix, en faisant valoir une classe interprétative digne des plus grands, entre noblesse des phrasés et projection redoutable d’agilité sur toute la tessiture. A ses côtés, Algirdas Drevinskas (Lakshmana) émeut au II dans son rôle difficile de pleutre, mais c’est surtout Lea‑ann Dunbar (Sita) qui impressionne par sa force d’incarnation, admirablement projetée. Dans un rôle plus court, on aime aussi la tenue de ligne souveraine de Clara‑Sophie Bertram (La Terre), à la technique superlative et d’une expressivité sans ostentation. Si Markus Jaursch (Ravana) et surtout Stefan Röttig (Maritcha) font preuve d’une noirceur bienvenue dans leurs interventions respectives, on regrette la projection insuffisante de Judith Braun pour prêter à Surpanakha l’intensité des fureurs attendues. Entre les chœurs parfaitement préparés et la direction tour à tour grandiose et ensorcelante de Stefan Neubert, la soirée est une incontestable réussite au niveau interprétatif.

La partie scénique n’atteint malheureusement pas un tel niveau d’ambition, du fait d’une scénographie minimaliste aux moyens manifestement modestes. On retrouve le metteur en scène Jakob Peters‑Messer aux commandes, après son réussi Colombus à Bonn en début d’année : sa transposition dans une décharge publique fait bien entendu référence aux intouchables, chargés des tâches « impures ». Peters‑Messer s’amuse ensuite à confectionner d’étranges masques, retravaillés à partir d’objets en plastique, pour figurer les mirages fatals à Rama : faut‑il y voir un message écologique, opposant les pollueurs face aux vertueux recycleurs ? Quoi qu’il en soit, la mise en scène s’appuie essentiellement sur la direction d’acteur, en un spectacle à l’ancienne parfaitement maîtrisé.

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