Hormis le succès international Les Planètes (1917), la musique
de Gustav Holst reste peu jouée en dehors du Royaume‑Uni, à l’instar de
celle de son ami et contemporain Vaughan Williams, trop rare dans nos
contrées. L’initiative du Théâtre de la Sarre est donc à saluer d’une
pierre blanche, puisqu’elle a pris le risque de présenter en première
mondiale l’ouvrage le plus ambitieux du début de la carrière de Holst, Sita (1906).
Cet opéra en trois actes, d’une durée d’un peu moins de trois heures,
appartient à la période « indienne » du compositeur, qui nourrit son
inspiration pendant plus de quinze ans avec des formes variées, de
l’opéra de chambre en un acte Savitri jusqu’à l’échec de la cantate Le Nuage messager (voir l’excellent disque du Chœur du King’s College, paru en 2020). Le travail acharné sur Sita
occupe Holst pendant sept ans, entre la rédaction du livret et les
retouches apportées jusqu’à la dernière minute à la partition, avec
l’aide de Vaughan Williams. Le rêve d’une création est finalement brisé
par la deuxième place obtenue au Prix Ricordi, alors que son ancien
professeur Charles Villiers Stanford fait pourtant parti du jury. Jugée à
juste titre trop wagnérienne, la partition reste enfouie dans les
archives du compositeur, sans être exhumée par sa fille, Imogen, l’une
de ses biographes.
Souvent proche des parties les plus spectaculaires du Ring,
notamment dans le soutien cuivré omniprésent, l’orchestration fait
valoir tout du long des qualités admirables de souplesse et de
transparence, déjà prisées par Holst. Si le I peut décevoir par son
action trop statique, les deux actes suivants deviennent de plus en plus
haletants, jusqu’à l’affrontement final entre les deux ennemis jurés
Rama et Ravana, qui se disputent la belle Sita. Parmi les grands moments
de la soirée, Holst se distingue dans l’écriture diaphane pour les
chœurs (une de ses spécialités par la suite) ou dans l’étonnant ostinato
qui marque la construction du pont au III, très moderne dans
l’entrecroisement virtuose des différents motifs.
La partition refuse toute concession à l’orientalisme au niveau musical,
à rebours de l’inspiration choisie pour le livret : celui‑ci raconte
une partie de l’épopée de Rama, l’un des avatars humains du dieu
Vishnou, dont l’épouse Sita a été enlevée par son ennemi Ravana. Fille
de la Terre, Sita incarne la droiture inflexible, dont l’époux ne doit
jamais douter de la fidélité, sous peine de la perdre définitivement. Si
on peut aujourd’hui reprocher à ce récit son biais patriarcal, force
est de lui reconnaître une fin originale, qui s’incarne non pas dans le
sacrifice suicidaire de Sita (comme la légende le promeut), mais dans
une étonnante affirmation d’indépendance, loin de son époux suppliant.
Dès lors, Rama apprend son essence divine de la bouche de la Terre, qui
le prend sous son aile, comme pour le consoler de la perte de son
épouse.
L’exécution musicale donne beaucoup de plaisir tout du long, du fait de
l’homogénéité des chanteurs réunis, tous issus de la troupe du Théâtre
de Sarrebruck, à l’exception notable du rôle de Rama : suite à la
défection de dernière minute de Peter Schöne, malade mais présent pour
interpréter le rôle sur scène, Simon Bailey lui prête sa voix, en
faisant valoir une classe interprétative digne des plus grands, entre
noblesse des phrasés et projection redoutable d’agilité sur toute la
tessiture. A ses côtés, Algirdas Drevinskas (Lakshmana) émeut au II dans
son rôle difficile de pleutre, mais c’est surtout Lea‑ann Dunbar (Sita)
qui impressionne par sa force d’incarnation, admirablement projetée.
Dans un rôle plus court, on aime aussi la tenue de ligne souveraine de
Clara‑Sophie Bertram (La Terre), à la technique superlative et d’une
expressivité sans ostentation. Si Markus Jaursch (Ravana) et surtout
Stefan Röttig (Maritcha) font preuve d’une noirceur bienvenue dans leurs
interventions respectives, on regrette la projection insuffisante de
Judith Braun pour prêter à Surpanakha l’intensité des fureurs attendues.
Entre les chœurs parfaitement préparés et la direction tour à tour
grandiose et ensorcelante de Stefan Neubert, la soirée est une
incontestable réussite au niveau interprétatif.
La partie scénique n’atteint malheureusement pas un tel niveau
d’ambition, du fait d’une scénographie minimaliste aux moyens
manifestement modestes. On retrouve le metteur en scène Jakob
Peters‑Messer aux commandes, après son réussi Colombus à Bonn en début d’année :
sa transposition dans une décharge publique fait bien entendu référence
aux intouchables, chargés des tâches « impures ». Peters‑Messer s’amuse
ensuite à confectionner d’étranges masques, retravaillés à
partir d’objets en plastique, pour figurer les mirages fatals à Rama :
faut‑il y voir un message écologique, opposant les pollueurs face aux
vertueux recycleurs ? Quoi qu’il en soit, la mise en scène s’appuie
essentiellement sur la direction d’acteur, en un spectacle à l’ancienne
parfaitement maîtrisé.
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