![]() |
| Mirga Grazinytė‑Tyla |
La Maison de la radio et de la musique surprend cette année par l’audace
de sa programmation, en choisissant de consacrer un cycle de quatre
concerts au compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg (1919‑1996),
associé à son ami Dimitri Chostakovitch (1906‑1975). L’estime et
l’influence réciproque de ces musiciens ont été maintes fois évoquées
ces dernières années, à l’occasion de la mise en lumière et de
l’ascension irrésistible de la musique de Weinberg en Occident. On doit
ainsi au Festival de Bregenz la résurrection du bouleversant
chef‑d’œuvre lyrique de Weinberg, La Passagère, dès 2010, en même temps que les efforts conjoints du Quatuor Danel ou du violoniste Gidon Kremer, pour faire connaître une partie de son legs considérable en musique de chambre.
Le flambeau a également été repris par la cheffe lituanienne Mirga
Grazinytė‑Tyla (née en 1986), qui s’est imposée ces dernières années
comme l’une des personnalités les plus en vue du monde musical, en
devenant tout d’abord directrice musicale de l’Orchestre symphonique de
Birmingham entre 2016 et 2022, puis en engageant un partenariat avec Deutsche Grammophon :
son premier disque consacré à Weinberg a montré toute l’ambition de
cette artiste, qui vient d’être nommée comme première cheffe invitée du
Philharmonique de Radio France. On la retrouve précisément pour le
troisième concert du cycle polono‑russe, qui montre plusieurs facettes
du style de Weinberg en première partie de soirée.
Le concert débute en effet avec l’étourdissant Premier Concerto pour flûte
(1961), dédié au virtuose russe Alexandre Korneïev : pour lui succéder,
la supersoliste du Philharmonique Mathilde Calderini assume crânement
la place prépondérante offerte à son instrument, d’une sensualité
débordante face à l’orchestre réduit à vingt cordes. Le caractère enjoué
et entraînant qui domine donne un sentiment d’urgence toujours
captivant, tant les phrasés entremêlés semblent couler de brio et de
naturel. Le climat d’apaisement qui suit, au tempo très mesuré,
bénéficie de l’allégement de l’accompagnement de Gražinytė‑Tyla : peu à
peu, quelques notes plus sombres envahissent le discours d’ensemble,
tout en laissant quelques éclaircies affleurer. Plus déstructuré et
dissonant, le finale montre davantage d’audace, avant une accélération
puis une conclusion abrupte.
![]() |
| Gidon Kremer |
Après l’entracte, le Philharmonique de Radio France retrouve des terrains plus connus avec la Quatorzième Symphonie (1969) de Chostakovitch, qu’il a enregistrée au disque avec son ancien directeur musical Mikko Franck, voilà déjà deux ans. Du fait de son aspect plus sombre et introspectif, cet ouvrage tardif reste moins souvent donné au concert que les grandes symphonies plus spectaculaires des années 1940. Touché par un premier infarctus en 1966, Chostakovitch montre là sa hauteur d’inspiration face à une mort qu’il juge prochaine, tout en dédiant l’ouvrage à son ami Benjamin Britten, lui aussi malade. La réduction de l’effectif orchestral à seulement vingt cordes, percussions et célesta donne aussi un ton plus intime, propice à mettre en avant les interventions des deux solistes, souvent poignantes.
On retrouve la basse Alexei Botnarciuc, qui vient précisément de s’illustrer dans le premier opéra de Chostakovitch, Le Nez à Munich l'an passé, pour affronter une partie redoutable, en ce qu’elle convoque des qualités de diseur à même de faire ressortir tout le caractère élégiaque des poèmes assemblés. Le Moldave affronte toutes ces difficultés sans aucun effort apparent, nous délectant de son timbre riche et profond, porté par une projection insolente sur toute la tessiture. On aime aussi l’art des phrasés d’Ausrinė Stundytė, très sollicité en première partie de symphonie, avant que la fin ne convoque davantage son tempérament et sa capacité à s’enflammer en pleine voix. Assurément deux atouts décisifs de la soirée, avec la direction toute en finesse de Grazinytė‑Tyla.
A l’issue de ce cycle, on ne peut que conseiller de se rendre à l’Opéra de Toulouse en janvier prochain, afin d’assister à la création française de La Passagère de Weinberg (voir notamment la production de l’Opéra de Francfort en 2015). Assurément l’un des grands événements pour débuter l’année !


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire