jeudi 25 décembre 2014

« La Chauve-Souris » de Johann Strauss fils - Opéra Comique - 23/12/2014


Alors que l’Opéra-Comique fête cette année ses trois cents d’existence, la vénérable institution ouvre sa saison sur un feu d’artifice de bonne humeur qui n’est pas sans rappeler la délicieuse Ciboulette mise en scène l’an passé par Michel Fau. Avec Strauss, le même état d’esprit domine: il s’agit de divertir, en multipliant les clins d’œil et les références musicales pour le plus grand plaisir des amateurs comme des initiés. Outre Manuel Valls, présent lors de la première dimanche, le Tout-Paris semblait s’être donné rendez-vous mardi soir autour des chefs d’orchestre Jordi Savall, Raphaël Pichon ou Jean-Claude Casadesus. La présence du maestro bien connu des Lillois n’a rien de surprenant, lui qui fut le tout dernier à diriger en 1969 – en tant que jeune chef assistant à l’Opéra-Comique – la version française de La Chauve-Souris.

Car c’est bien là le pari audacieux réalisé par l’équipe de Marc Minkowski: oser jouer une opérette de Strauss dans une adaptation entièrement revue et modernisée, en imposant la langue de Molière aussi bien pour les parties parlées que chantées. Cet été, les enregistrements réunis par José Pons dans le très beau coffret L’Opéra de Paris, une histoire sonore (1900-1960) rappelaient opportunément combien la longue tradition des versions françaises avait été balayée par l’avènement de l’urtext – le retour aux partitions originales. Le rigorisme d’alors – «Au Français, on joue français» pouvait-on entendre à la Comédie-Française – a fait place à un autre, plus insidieux dans son auto-contrainte. S’il n’est évidemment pas question de revenir aujourd’hui sur ces acquis, peut-être est-il temps de montrer davantage de souplesse pour laisser émerger des projets tels que cette Chauve-Souris savoureuse? Qui osera le français en dehors d’une opérette?


Parmi les changements notables, le rôle du ténor Alfred, soupirant de Rosalinde, s’enrichit d’une veine comique en chantant régulièrement des coulisses, et ce pour le plus grand malheur de ses congénères! Un gag à la manière de l’insupportable barde Assurancetourix dans la bande dessinée. Outre la suppression de la première entrevue d’Alfred avec Rosalinde, on pourra noter la modification d’identité de Gabriel von Eisenstein et du directeur de prison, lors du bal, se faisant tous les deux passer pour des Italiens. Les imposteurs s’en donnent à cœur joie pour rivaliser de bons mots aux accents transalpins, dans une joute désopilante. Autre changement de taille avec un Prince Orlofsky interprété par un contre-ténor en lieu et place de la traditionnelle mezzo. Grimé en nouveau riche aux faux airs de Kim Jong-un – en résonnance avec l’actualité récente – ce personnage devient plus ridicule que jamais avec sa voix fluette aux constants déraillements.


Voulant sans doute ne pas trop charger la barque face à l’importance de ces modifications, la mise en scène d’Ivan Alexandre se montre assez classique, sinon sage dans ses habits contemporains très neutres, tout en choisissant une scénographie sobre et fonctionnelle. Il est vrai contrainte par l’exiguïté de la scène de l’Opéra-Comique, cette adaptation qui ne cherche pas le second degré respecte les lieux de l’action en nous embarquant dans le quotidien des époux Eisenstein, du bal d’Orlofsky à la prison, mais sans rien apporter de plus. Ivan Alexandre préfère se concentrer sur la direction d’acteurs, très boulevardière avec ses déshabillés, ses quiproquos et autres mines déconfites. Rien d’indigne bien sûr mais on attendait davantage que cette gentille pochade.


Fort heureusement, le plateau vocal réuni par cette production balaye toutes ces réserves mineures. Place tout d’abord à l’impériale Sabine Devieilhe, immensément applaudie à l’issue de la représentation, tant pour son énergie communicative sur scène que son brio lyrique. Agilité impressionnante, aisance dans l’aigu ou timbre charmeur, on ne tarit plus d’éloge sur cette jeune soprano colorature. A ses côtés, Stéphane Degout convainc pleinement lui aussi avec sa profondeur d’émission et sa projection idéale. Il se sort bien aussi des parties théâtrales, bien épaulé par un impeccable Franck Leguérinel, à la mine sévère avec ses faux airs de Fritz Reiner, dont on aurait aimé cependant un tout petit peu plus de noirceur pour son rôle trouble de Franck. Chiara Skerath imprime à sa Rosalinde un tempérament de feu, très précise dans la diction, agile dans les vocalises, mais parfois dépassée dans les accélérations.


Il est vrai que le tempo très vif imposé par Marc Minkowski, au rebond rythmique jubilatoire, offre beaucoup de caractère à l’œuvre mais n’aide pas toujours ses chanteurs. Aucun problème de ce côté-là pour Philippe Talbot, excellent remplaçant de dernière minute, ou Kangmin Justin Kim, virtuose contre-ténor qui en fait parfois un peu trop, mais véritablement irrésistible dans sa parodie de récital de Cecilia Bartoli. On citera aussi le savoureux tempérament comique d’Atmen Kelif au débit proche du one man show en début de troisième acte, tout comme le petit interlude de Jérôme Deschamps, à l’autoritarisme paternaliste gaullien. Un régal!

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