On reste toujours fasciné par le chemin parcouru par certains chanteurs que l’on a eu la chance de découvrir en début de carrière : ainsi de Sabine Devieilhe (née en 1985), qui depuis son prix « Révélation Artiste Lyrique » aux Victoires de la musique classique 2013, n’a eu de cesse de s’affirmer comme l’une des sopranos coloratures les plus prisées de sa génération, recueillant des succès mérités à chacune de ses apparitions. Certains rôles semblent désormais indissociables de sa personne, comme celui de Lakmé abordé à l’Opéra Comique dès 2014, puis sur de nombreuses scènes un peu partout en France et au-delà.
Quel plaisir de la retrouver dans ce même rôle à l’Opéra-Comique, autour d’une nouvelle mise en scène confiée à Laurent Pelly, permettant aussi à son mari Raphaël Pichon (né en 1984) de dépasser les frontières du baroque pour aborder le brio romantique et orientaliste de la musique de Delibes ! Les spectateurs ne s’y sont pas trompés, venant en nombre pour l’occasion, à l’instar d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris et de ses homologues Alain Perroux (Rhin) et Bertrand Rossi (Nice), tous deux coproducteurs du spectacle, sans parler de Robert Carsen et Philippe Hersant, également présents pour l’événement.
Immense succès à la création en 1883, Lakmé reste aujourd’hui parmi les dix ouvrages lyriques français les plus joués au monde, grâce à ses tableaux admirablement différenciés et ses qualités mélodiques (et ce malgré quelques sucreries), qui font oublier un livret prévisible, du moins lorsque le rôle-titre est à la hauteur : digne héritière de toute une tradition française, autour de Mado Robin, Madie Mesplé ou Natalie Dessay plus récemment, Sabine Devieilhe déploie dans ce rôle des délices de raffinement, se jouant d’un aigu souple et aérien, au bénéfice d’une interprétation engagée. On pourrait certes souhaiter, ici et là, une attention plus soutenue au texte (parfois négligé au profit des couleurs vocales) ou encore des graves plus mordants : il n’en reste pas moins que son naturel et son aisance interprétative donnent une sensation d’évidence, comme si le rôle avait été écrit pour elle.
A ses côtés, Frédéric Antoun (déjà présent lui aussi dans la production de 2014) a pour lui l’aisance scénique et la beauté du timbre, qualités malheureusement amoindries par une technique peu poitrinée, qui met à mal son émission, trop étroite. On note ainsi quelques passages en force, de même que plusieurs transitions audibles avec la voix de tête. Le chanteur québécois est plus à son aise après l’entracte, dès lors que la musique s’apaise, lui permettant de mieux poser sa voix et de faire oublier ces quelques imperfections par un style toujours à-propos.
Grand triomphateur de la soirée (mais est-ce une surprise ?), Stéphane Degout
compose un vibrant Nilakantha, imposant autant le ton péremptoire du
Brahmane par la noblesse de ses phrasés, que son fanatisme aveugle par
son impact vocal pénétrant : on a là une incarnation qui donne la chair
de poule, à juste titre vivement applaudie en fin de représentation par
un public dithyrambique.
On retrouvera le baryton français avec Raphaël Pichon et son ensemble
Pygmalion pour plusieurs dates (dont le 19 octobre à la Philharmonie de
Paris) consacrées à la promotion du disque « Mein Traum », dédié à
plusieurs airs, lieders et chœurs de Schubert, Schumann et Weber.
Tous les seconds rôles réunis autour de ces trois interprètes apportent leur concours à la réussite de la soirée, au premier rang desquels le Frédéric très en voix de Philippe Estèphe, de même que le toujours impeccable François Rougier (Hadji). C’est un plaisir, aussi de retrouver le choeur Pygmalion, très investi tout du long, manifestement inspiré par la direction enthousiaste de Raphaël Pichon, qui n’a pas son pareil pour embraser son orchestre, à coup de fulgurances parfaitement maitrisées.
C’est là un contraste pour le moins surprenant avec la mise en scène tout en discrétion de Laurent Pelly, qui ménage ses effets en première partie pour imposer un plateau épuré en noir et blanc, d’où ne ressort qu’une immense cage en bambou : le metteur en scène français et sa scénographe Camille Dugas jouent sur les textures, entre papier translucide et lampions blanchâtres aux réminiscences orientales, tout en évoquant par les costumes le contexte colonial où se situe l’action. Pelly distille aussi quelques rares touches d’humour, le plus souvent dévolues au quintette colonial, à l’allure pressée et maniérée, en contraste avec la raideur du brahmane.
Mais le spectacle gagne surtout en éclat en deuxième partie, lors d’une très réussie scène de marché, à la direction d’acteur millimétrées, notamment dans la gestion du choeur. Couleurs crépusculaires et pénombre recueillie accompagnent ensuite les adieux de Lakmé, abandonnée par Gérald, en une fin bouleversante qui laisse le public sans voix, ou presque. Outre les représentations prévues à l’Opéra Comique, ce spectacle de toute beauté sera diffusé le 6 octobre sur Arte Concert, puis sur France Musique le 22 octobre prochain.
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